Vers le milieu du XVIe siècle, Spa commença à recevoir de nombreux visiteurs étrangers attirés par la renommée de ses « pouhons » (1).
Le premier ouvrage consacré à ces sources minérales fut écrit par le médecin du prince-évêque de la Marck, Gilbert Limborh et fut publié à Anvers en 1559 sous le titre: Des fontaines acides de la forest d’Ardenne et principalement de celle qui se trouve à Spa.
La même année, il parut en latin et en espagnol et en 1592, une édition italienne fut publiée à Milan (2). Une gravure du livre de Limborh montre un important cortège de cavaliers et de carosses longeant le ruisseau du Wayai, qui coulait alors à ciel ouvert pour se diriger vers le pouhon situé au centre du « nouveau Spa ».
A part quelques personnages illustres dont on sait par leurs biographes qu’ils vinrent à Spa au XVIe ou au XVIIe siècle, par exemple Montaigne (1580), le prince de Gonzague (1578), le roi de France Henri III (1584), Descartes (1645), Charles II, roi d’Angleterre (1664), Van Helmont (1624), on ne connaît que peu de noms de ces « Bobelins » du XVIe et XVIIe siècles (3).
Par contre, on est beaucoup mieux renseigné sur les « Seigneurs et dames » qui, au XVIIIe siècle, l’âge d’Or de Spa, fréquentèrent le « Café de l’Europe », nom donné à la ville d’eaux parce qu’on y rencontrait des visiteurs de toutes nationalités. En effet, à partir de 1751, on publiait chaque semaine à Spa et cela de juin à septembre une livraison de la « Liste des Seigneurs et Dames venus aux eaux minérales de Spa ». Elle fut imprimée par les imprimeurs liégeois Dessain, Desoer et Bollen. Un peu plus tard, cette publication prit le nom de « Liste des étrangers » (4).
Les gentilhommes (car Spa était le rendez-vous de la noblesse européenne) s’y faisaient inscrire à leur arrivée à Spa, en indiquant le nom de l’auberge où ils séjournaient afin que ceux de leur connaissance puissent être au courant de leur séjour à Spa et les rencontrer.
Albin Body (1836-1916), historiographe de Spa, qui s’est intéressé spécialement aux Bobelins illustres, a eu l’idée de proposer à un artiste spadois, Antoine Fontaine, de peindre un grand tableau représentant un certain nombre d’entre eux.
C’est ainsi qu’est né le célèbre « Livre d’Or » exposé dans la grande salle du Pouhon Pierre-le-Grand (5).
Le peintre y a représenté 91 visiteurs illustres, avec en outre les statues de Pline-le-Jeune et Saint Remacle et deux autres statues allégoriques: la Musique et la Peinture et, à l’arrière-plan, les pavillons des sources de la Sauvenière et de la Géronstère, l’établissement des Bains (construit en 1863), la galerie Léopold II et le Pouhon actuel.
Il faut remarquer que les personnages représentés ne sont pas groupés d’après l’époque de leur visite à Spa, mais que par exemple, Victor Hugo (1865) est voisin de Fabre d’Églantine (1780) (auteur de la chanson: Il pleut bergère) et que Gilbert Limborh y cotoie le Prince de Ligne (1789).
Antoine Fontaine a cependant peint un autre grand tableau accroché actuellement dans le hall de l’Athénée Royal de Spa dans lequel les personnages, moins nombreux, sont groupés d’après l’époque où ils vinrent à Spa.
D’autre part, en dessous de la balustrade surmontant la « Cascade » de la rue de La Sauvenière, à l’emplacement de l’ancien moulin de Spa, on voit gravés et cette fois du XVIe au XIXe siècle les noms de visiteurs illustres. Cette liste mériterait d’ailleurs d’être complétée.
Pour en revenir au Livre d’Or, le bourgmestre de Spa adressa le 8 août 1894 une lettre au Ministre de l’intérieur et de l’instruction publique, lui demandant de bien vouloir envoyer un délégué sur le lieu pour examiner le tableau de M. Fontaine intitulé le Livre d’Or de Spa que la ville désirait acquérir pour son musée au prix de 4000 francs. La ville espérait obtenir un subside de l’état. Vu la grande dimension du tableau (10 mètres de longueur) et les risques à courir, il n’était pas possible de le transporter à Bruxelles.
Le 21 août de la même année, le ministre fit savoir à l’Administration communale de Spa qu’il ne pouvait accueillir favorablement ‘cette demande de subside, car, d’après le rapport du délégué du gouvernement, l’oeuvre n’avait pas les qualités artistiques nécessaires, pour que l’état intervint dans le prix de l’acquisition.
En raison de l’intérêt exceptionnel que présentait cependant l’oeuvre d’Antoine Fontaine pour la ville d’eaux, l’administration communale acheta pourtant le Livre d’Or pour le prix de 4000 francs or.
Léon Marquet
(1) Ce nom vient du latin « potio(nem) ». Des documents du XIIe siècle, qui se rapportent aux sources de Malmedy et Stavelot, appellent celles-ci « potiones sancti Remacli ». Voir l’introduction de la brochure : Sources minérales et fontaines de Spa. (Connaître Spa. Comité culturel n’3)
(2) Un exemplaire de ce livre est exposé dans une vitrine du Musée de la ville d’eaux (Av.Reine-Astrid)
(3) Ce nom, signifiant originellement « nigaud » mais dont le sens péjoratif s’est perdu, avait été donné par les paysans des environs aux étrangers
(4) Voir L.Marquet. A l’âge d’or de Spa. Le Waux-Hall (Verviers 1985) pp 71-74.
(5) Ce nom fut donné après 1820, lorsqu’un nouveau bâtiment remplaça celui qui, depuis 1570 jusqu’à 1820, avait surmonté la source. On sait que Pierre-le-Grand vint à Spa en 1717. Le bâtiment actuel fut inauguré le 4 juillet 1880. (Voir Sources minérales et fontaines de Spa. P. 10-1 1.)
Excellent article!