Jules César dans ses « Commentaires de la guerre de Gaules » dénomme Arduenna silva, la forêt Ardenne, la vaste région boisée entre la Moselle, le Rhin et le pays des Nerviens. En celtique Ar-Denn ou Ar-Tann signifie Pays des Chênes. De fait, d’immenses chênaies couvraient ce territoire, géants unissant la terre au ciel.
Pline l’Ancien qui fut, au premier siècle, officier romain en Germanie inférieure, c’est-à-dire dans nos régions, écrit dans son « Histoire naturelle » que les régiments de cavalerie passaient sous les racines des arbres.
Les Gaulois vénéraient Arduinna, la déesse Ardenne, divinité des forêts et de ses habitants, assise sur un sanglier lancé au galop. Après la conquête, les Gaulois s’empressèrent d’adopter la civilisation romaine qui leur apportait prospérité, ordre et sécurité. Respectant les dieux des peuples conquis, les Romains les accueillaient au Panthéon à Rome ; Panthéon signifie « Tous les dieux ». Et Arduinna devint tout naturellement Diana, l’Artémis des Grecs, déesse des bois, de la chasse, de la lune et des sources minérales guérisseuses. Court-vêtue, Diane courait dans les forêts, le carquois à l’épaule, l’arc à la main, suivie des nymphes des bois, les Dryades. Elle portait un croissant de lune dans les cheveux, en diadème inversé, unissant le cycle féminin au cycle lunaire.
Par une chaude journée d’été, elle arriva au Ninglinspo, torrent affluant de l’Amblève. Les eaux rapides y avaient creusé des excavations circulaires que les habitants actuels de la région appellent « marmites ». Au confluent du petit ru appelé « ruisseau des Blanches Pierres », elle prit un bain. Si ! Si ! J’y ai vu jadis un écriteau en bois aux lettres délavées : « Bain de Diane ». Dans le fond du ravin, le corps harmonieux de Diane renvoyait la lumière. Survint Actéon, le chasseur, avec ses chiens. Il surprit la déesse, nue, au bain. Outrée, Diane, chaste et vindicative, le transforma en cerf. Les chiens ne reconnaissant plus leur maître, ils se jetèrent sur lui et le dévorèrent.
Les siècles passèrent. Au IVe, l’empereur Constantin proclama le christianisme religion d’état. Les Ardennais, dans leurs confins, continuèrent à vénérer Diane en de modestes temples appelés « fanum ». Vinrent les invasions barbares, l’Ardenne fut ravagée. Au milieu du VIIe siècle arriva saint Remacle, l’évangélisateur. Le roi Sigebert III lui avait donné un territoire dans cette vastitude pour y créer une abbaye. A Malmedy, saint Remacle fit abattre le bois sacré pour construire les bâtiments. D’un geste, il tarit la fontaine minérale dédiée à Diane et fit couler du plomb fondu dans une croix creusée dans le rocher avoisinant et la source coula de plus belle ! C’était un miracle ! Les prosélytes abattirent la statue de Diane qui se brisa sur le sol. La déesse fut chassée et disparut.
Parfois à la vesprée, le temps semble s’arrêter, puis un souffle passe dans les sous-bois ardennais. Serait-ce le vent du soir ?
Louis PIRONET