Essai de reconstitution de l’histoire des petites maisons de la rue Rogier

L'escalier de l'ancien magasin de pralines Leonidas

L’escalier de l’ancien magasin de pralines Leonidas

Le petit escalier « vieillot » qui se trouve dans le magasin Léonidas, rue Rogier, m’est depuis toujours « tombé dans l’oeil », nous écrit Françoise Sadzot. « Je l’ai photographié et avec l’accord de la propriétaire de la maison j’aimerais que Réalités nous donne quelques renseignements sur l’âge de cet escalier et de la maison. Nous lançons un appel pour obtenir des anecdotes ou histoires relatives à cette petite maison. »

C’est bien volontiers que nous répondons à cette demande. Nous avons essayé de récolter des informations sur cet escalier et la maison qui doit être ancienne. Nous en profiterons pour chercher des informations sur l’autre maison qui est occupée par la librairie. Ces deux petites maisons du début de la rue Rogier sont très typiques et leur volume nous permet déjà de dire qu’elles sont anciennes. Elles font en tout cas partie du décor de la place Pierre-le-Grand. Comme vous le constaterez, ces informations sont assez fragmentaires et nous espérons pouvoir compléter cet article dans nos prochains numéros.

Cet escalier est relativement ancien par sa structure. On peut remarquer qu’il est usé à l’emplacement du frottement des pieds. De nombreuses maisons spadoises possèdent des escaliers très anciens et intéressants. On constate qu’ils sont parfois démontés pour agrandir les pièces ou placer des ascenseurs et on les retrouve alors chez des antiquaires des pays voisins.

Pour tenter de savoir à quelle époque ces maisons ont été construites et qui les occupaient, il est possible de se référer aux plans de la ville établis à divers moments, aux gravures, peintures et cartes postales et à des registres reprenant les commerces de notre localité.

Première gravure de Spa

Première gravure de Spa


1559 – 1603

Les premières gravures de Spa de Pierriers (1559) et de Valdor (1603) ne semblent pas montrer de maison sur la rive gauche du Wayai à hauteur du Pouhon. Le Wayai coule au pied de la butte dominée par l’ancienne église et son cimetière. Les berges sont très pentues.

1612
Sur une gravure de Remigio Cantagallina qui représente la place du Pont, on constate qu’une petite maison à colombages est adossée au contrefort de la butte du cimetière. Le cimetière est reconnaissable à la grande Croix érigée près de l’église.
On pourrait en conclure que cet endroit a été construit depuis le début du 17eme siècle. Il faut cependant rester prudent car les illustrateurs prennent parfois des libertés avec la réalité.

Le plan des Frères Caro de 1770

Le plan des Frères Caro de 1770

1770
Le plan des Frères Caro de 1770, édité en 1968 par M. Ramaeckers, permet de voir de manière très précise les deux premières maisons de la rue, en dessous de l’ancienne église (A) et du cimetière. Notons que l’ancienne église n’était pas orientée de la même manière que l’église actuelle.
La première maison dessinée sur le plan (n°3) semble avoir les caractéristiques de nos petites maisons actuelles. Elle porte l’enseigne « Notre Dame de Lorette » et la suivante (2) «Homme Sauvage ».
Sur une reproduction simplifiée de ce plan de 1770, on peut voir deux petites maisons au lieu d’une. Albin Body précise que se trouvaient au coin de la rue du Moulin et de la place du Pont deux petites maisons sans enseigne. Il n’y a pas de construction au pied de la rue des Capucins (actuelle rue Schaltin). Le Pouhon (P) est encore entouré de maisons, la rue Rogier actuelle est limitée par des immeubles. En N se trouve le moulin.

1780 Plan Le Comte
Sur le plan Le Comte de 1780, Une maison est présente au coin de la rue des Capucins (Schaltin). Les immeubles dessinés portent le nom de : Billard (coin) – Notre Dame de Lorette – Botte Française – Homme Sauvage (en montant). On peut donc émettre l’hypothèse que deux petites maisons existaient à cette époque et qu’elles portaient les enseignes de Notre Dame de Lorette et Botte Française.

1787
Pour pouvoir se référer à un nom de rue, il faut attendre l’année 1787. Le 11 juin de cette année, le pouvoir communal décide de faire poser à chaque coin de rue un écriteau désignant chaque rue « pour faciliter d’autant plus les étrangers à connaître tant les rues du bourg que les logements qu’ils habitent ». Il était demandé aux habitants de ne pas effacer les numéros qui étaient posés sur leur maison. 530 habitations étaient ainsi numérotées. Ce système fut utilisé jusqu’en 1866.
La rue Rogier n’a pas toujours porté ce nom. Auparavant, elle s’appelait la rue du Moulin et les habitations portaient les numéros de 202 à 213. C’est en effet en face de la cascade dite Monumentale, au milieu de la rue que se trouvait le moulin à farine du ban de Spa. Ce moulin était alimenté en eau par un biez, étroit canal qui amenait l’eau de la Picherotte le long de la rue Xhrouet et la déversait sur les roues du moulin en contrebas. Il est déjà fait mention de ce moulin en 1451. En 1852, pour obtenir une liaison directe entre la place Pierre-le-Grand et la rue de la Sauvenière, on démolit le moulin et le biez à la grande colère des habitants du quartier qui écrivirent au ministre de l’intérieur de l’époque, Charles Rogier, afin que l’on évite de démolir le biez.

1827
Alexis Doms (Par les rues de Spa in Histoire et Archéologie Spadoises n° 32 à 35) a consigné les informations concernant Spa de l’Almanach du commerce de Liège, Verviers, Huy, Spa et leurs environs datant de 1827. On y trouve ainsi des commerces de la rue du Moulin: n°202 l’hôtel de Hollande tenu par Sandberg frère et sœur, 203 épicier Huet, 204 établissement des bains Guéris, 207 Lezaack menuisier, 208 Lezaack pharmacien, 212 Evrard ferblantier, 213 Lezaack : épicier.
Sur un dessin du Général de Howen daté de 1827, on peut voir la maison qui nous occupe. Elle n’a pas d’étage. On distingue derrière elle des arbres et l’ancienne église (photo 255 Georges Jacob). La librairie actuelle est également bien distincte et présente un volume identique à celui que nous connaissons aujourd’hui.
Une gravure de J.P. Goetghebuer de 1827 publiée dans Dethier : Spa, Stavelot et Malmedy en gravures p 61 confirme la présence de la librairie.

Le plan cadastral de 1829

Le plan cadastral de 1829

1829
« Nos » deux petites maisons sont dessinées sur le plan cadastral de 1829. On remarque également que le Wayai a été voûté. Le Pouhon construit sous le régime hollandais est bien marqué.
Gravure du Pouhon Pierre le Grand

Gravure du Pouhon Pierre le Grand

Un dessin de Jean Rateau

Un dessin de Jean Rateau


Située à proximité du Pouhon, la librairie actuelle sera souvent représentée sur des gravures. Ainsi, dans le livre de Georges Jacob, on découvre cette maison sur des gravures s’étendant de 1825 à 1880.

1852
Un dessin de Jean Rateau (1932) d’après un document de Lambert Spailier montre ces deux petites maisons en 1852. On découvre bien la configuration de l’ensemble du centre de Spa.

1872
La maison du coin est à cette époque une horlogerie.

1904
Des cartes postales de 1904 nous permettent de dire que la maison à l’escalier (Ovidias) était un commerce de tabac-cigares tenu par A. Bodeux-Antoine.

 Cette carte postale est produite par les éditions Val. Engel dont le magasin se trouve à côté de notre petite maison.

Cette carte postale est produite par les éditions Val. Engel dont le magasin se trouve à côté de notre petite maison.


1914
Lors de l’entrée des Allemands à Spa, une photo permet de voir la maison. Elle se trouve à côté de la papeterie Engels. On aperçoit une enseigne avec le mot cigares.

1928
Dans un bottin de téléphone de 1928, nous lisons que la maison du coin est occupée par une parfumerie tenue par Melle Colette. La deuxième petite maison est encore un marchand de Tabac, M. Bodeux.

En 1931, on constate, en regardant une carte postale de cette époque que la maison du coin abrite une parfumerie, mais en 1936, elle devient une librairie. Par contre, le commerce de tabac continue encore ses activités.

La maison du coin de la rue Rogier abrite une parfumerie

La maison du coin de la rue Rogier abrite une parfumerie


En conclusion, on peut dire sans se tromper que nos sympathiques maisonnettes contribuent à animer depuis 200 ans le quartier du Pouhon Pierre-le-Grand.

Pol Jehin


Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *