En juillet, un rite particulier s’impose à quelques uns d’entre nous. Il est transmis de génération en génération : la cueillette des myrtilles. Dès que les petites baies commencent à prendre leur jolie couleur mauve, il devient impossible pour l’amateur de résister au désir de parcourir les bois pour s’assurer une bonne récolte.
Fin des années 1950, la cueillette des myrtilles constituait une activité très importante pour les enfants. Partis tôt le matin avec le seau, le havresac garni de la boîte à tartines et de la gourde, il s’agissait de trouver, plus exactement de retrouver une bonne place, en évitant de se faire repérer par des suiveurs. Après avoir établi le camp de base, on y déposait le matériel, la coupe commençait. Auparavant, il fallait procéder à une opération délicate : se frotter les mains et le visage avec du vinaigre, emporté dans une petite bouteille dont il fallait bien fermer le bouchon ! Je n’ai jamais vérifié si cette potion magique, sensée refouler les moustiques et les taons était efficace, mais elle faisait partie du rituel et à ce titre son effet spychologique devait être non négligeable.
Il fallait prendre délicatement les myrtilles entre les doigts et les déposer d’abord dans un bol afin, surtout pour les plus jeunes, d’éviter de se décourager. Interdiction formelle de regarder trop souvent le contenu du bol en question, au risque de se démotiver. Bien entendu, le peigne était interdit dans notre famille. Les myrtilles devaient rester nettes, ne pas suer leur jus et garder cette belle pellicule bleutée, ce superbe duvet attestant ainsi de la fraîcheur des fruits. Les mains devaient également rester propres. Il n’était pas question d’avoir les doigts maculés de taches mauves, ce qui imposait de choisir les fruits les plus fermes. Il fallait également éviter que des feuilles ne viennent envahir le panier ou le seau, ce qui aurait fortement dévalorisé le travail. Bref, couper des myrtilles, c’était tout un art !
Chacun avait sa technique spécifique ; les uns restaient accrochés à un massif d’arbustes, d’autres préféraient circuler en dépouillant les myrtilliers uniquement de leurs plus belles et plus grosses myrtilles. Les plus rapides gardaient quelques myrtilles en main avant de les déposer dans le seau. Durant la cueillette, chacun mettait un point d’honneur à ne pas manger, à résister au plaisir de goûter les myrtilles. En manger avant la fin de la journée était pour nous synonyme de sacrilège.
On s’accordait bien entendu une pause pour manger le dîner ou le goûter en profitant de ce moment pour observer plus attentivement les multiples papillons, lézards qui nous accompagnaient durant notre activité. Le seau ou le panier bien garni, il fallait penser à redescendre vers Spa tout en prenant soin de couvrir le dessus du récipient de belles grosses myrtilles sélectionnées avec soin.
C’est à cet instant que l’on prenait quelques minutes pour avaler des myrtilles délicieuses tout en se rappelant qu’il faut être prudent et pas trop pressé en empruntant les chemins tortueux du retour. Quelqu’un se chargeait chaque fois de rappeler l’histoire du paternel, qui âgé d’une dizaine d’années, avait trébuché malencontreusement sur une racine, perdant la plus grande partie du contenu de son panier. Il en avait pleuré de honte et de rage !
Arrivés près de la maison, nous étions heureux de cette belle journée et le plaisir était encore décuplé quand des passants jetaient un regard admiratif sur notre récolte. Saupoudrées de sucre impalpable, les myrtilles seraient tout d’abord mangées avec la tartine de pain gris, on en fera bien entendu des confitures. Nous allions également vendre notre récolte chez les voisins âgés qui nous attendaient chaque année. Cette dringuelle était très appréciée car l’argent de poche n’avait pas la cote chez nous. Des amis vendaient leur récolte aux boulangers spadois.
La récolte à Creppe
Dans l’entre-deux-guerres, la récolte des myrtilles était devenue une activité très importante dans notre région et notamment à Creppe. En se servant dun peigne, il n’était pas rare de cueillir une quinzaine de kilos par adulte. Il fallait ensuite nettoyer les fruits, enlever les feuilles, les fruits verts ou gâtés, les brindilles. M. Hurlet (voir Réalités n°48) précise que les myrtilles étaient destinées aux hôtels et marchands mais aussi aux teintureries allemandes. Tous les jours, Marie Gérono, qui tenait un magasin de primeur Place Verte, se rendait en Allemagne avec des myrtilles.
Vers 1935, le ramasseur recevait 25 cent au kilo. La cueillette permettait d’arrondir les fin de mois, l’achat de charbon et de vêtements et même parfois de pâtures supplémentaires.
Amélioration de la vision nocturne
Il est prouvé que la consommation de myrtilles améliore la vision nocturne. Pendant la deuxième guerre mondiale, les pilotes de la Royal Air Force consommaient quotidiennement des saladiers entiers de myrtilles afin d’augmenter leur acuité visuelle pour les interventions nocturnes. Elle aide à lutter contre la fatigue oculaire.
Amélioration du transit
En cas de diarrhée, la consommation de myrtilles peut aider à diminuer les symptômes et à rétablir plus rapidement un transit normal.
Myrtille de loup
Il ne faut pas confondre avec la myrtille de loup que l’on trouve uniquement sur les landes tourbeuses. ces buissons sont beaucoup plus hauts et imposants. Les fruits, plus gros, ont la chair blanchâtre et sont assez fades. En général, on ne les consomme pas, même si le fruit n’est pas toxique. Il a un un goût plus doux, moins prononcé, moins sucré. Nous connaissons des personnes qui en consomment mais la myrtille de loup mangée en grande quantité peut provoquer des maux de tête et un certain état d’ivresse. En allemand, elle se nomme Rauschbeere (« baie d’ivresse ») ou Trunkelbeere (« baie d’ivrognerie »). En wallon de Verviers, le mot frambâhî d’tchin ou d’leup montre que l’on accordait une qualité moindre à cette myrtille.
On trouve également dans le commerce des myrtilles beaucoup plus grosses que les myrtilles de nos bois. Il s’agit de fruits d’arbustes qui sont cultivés. Ils n’ont pas la même saveur que les myrtilles des bois.
Un produit de terroir : tarte et pâté aux myrtilles
Dans certaines régions de France, la cueillette des myrtilles est entourée de diverses manifestations folkloriques et de marché où des artisans proposent des préparations diverses à base de myrtilles.
Vous pourrez trouver à Spa de la tarte aux myrtilles.Les boucheries spadoises proposent de leur côté du pâté de foie aux myrtilles. L’apéritif bien connu la « Rosée de Spa » est préparé avec un distillat de myrtilles. Nous avons découvert dans le Lot en France un artisan qui proposait du chocolat aux myrtilles ; avis à nos chocolatiers !
Pol Jehin