Depuis le 2 août 1959, date de l’abandon de l’exploitation par la S.N.C.B. de la ligne reliant Spa à Trois-Ponts, seuls circulaient sur cette voie rurale quelques trains de marchandises et quelques trains spéciaux amenant des spectateurs au circuit de Francorchamps dans le cadre des grands meetings annuels.
Le lundi 30 décembre 1968, peu avant 13 heures, comme chaque semaine, un convoi de marchandises quitta la gare de Spa en direction de la gare de Sart-lez-Spa. La locomotive diesel n° 212.108 du dépôt de Kinkempois tractait 3 wagons. A son bord se trouvait le machiniste, Armand Louveau, 55 ans, d’Ougrée et le convoyeur, Georges Jacquemin, 49 ans, de Mangombroux, ainsi que trois employés de la gare spadoise, Messieurs Noël, Martin et Grisard.
Depuis plusieurs jours, la neige recouvrait les hauteurs spadoises ; pendant le parcours, surtout dans les bois du Hatrai, situés peu après Nivezé, la voie était très enneigée, des congères avaient dû être franchies. A son arrivée en gare de Sart, le machiniste arrêta le train afin de permettre aux trois employés spadois de descendre du convoi pour effectuer les opérations de routine : décrochage des wagons et positionnement des aiguillages en vue de regagner Spa.
Constatant que la neige s’était accumulée entre les blocs de frein et les bandages des roues de la locomotive, le machiniste et son convoyeur œuvrèrent avec prudence. Malgré cela, la neige comprimée lors des diverses manœuvres s’était transformée en glace. Soudain, vers 14 heures, le conducteur cria : « Les freins ne répondent plus ». Trop tard, la motrice descendait comme un traineau vers Spa. L’alerte fut donnée immédiatement afin que les signaux sonores et lumineux de tous les passages à niveau concernés puissent être déclenchés.
La locomotive prit de plus en plus de vitesse, il était déjà trop tard pour que les deux hommes puissent sauter. Tout le long du trajet, ils actionnèrent sans arrêt le klaxon de la machine, qui traversa le village de Nivezé à une allure folle, causant une vive émotion doublée d’une immense inquiétude !
C’est entre Préfayhai et la halte de Géronstère, à hauteur du viaduc qui enjambe la route de la Sauvenière et le ruisseau la Picherotte (lu pih’rote), là où la courbe est plus prononcée que la locomotive de 80 tonnes sortit des rails. Elle arracha le garde corps sur une cinquantaine de mètres, puis plana dans le vide sur une distance de plus de 80 mètres et acheva sa chute 10 mètres plus bas dans les jardins de la rue Bertholet Deschamps, après avoir étêté plusieurs jeunes arbres. En s’écrasant, elle perdit ses bogies et divers éléments mécaniques.
Malheureusement, les deux machinistes perdirent la vie dans ce terrible accident encore bien présent dans la mémoire de nombreux Spadois. Le corps du machiniste gisait près de son poste de conduite, tandis que celui du convoyeur était coincé dans les décombres. Il fallut plusieurs heures pour le dégager car l’emploi du chalumeau était impossible à cause des émanations de mazout s’échappant de la carcasse de la motrice.
Le Parquet de Verviers, assisté des polices du chemin de fer et de Spa, procéda aux premières constatations. Le rapport d’enquête de la S.N.CB. conclut qu’aucune faute ne pouvait être imputée aux deux machinistes ; il rend d’ailleurs hommage à leur immense courage.
Cet accident sonna le glas du tronçon Géronstère-Stavelot de la ligne 44. Les travaux de déferrement entrepris en mai 1973 s’achevèrent en novembre de l’année suivante.
Jean Lecampinaire
Sources :
La Vie Spadoise du 5 janvier 1969
Spa-Stavelot, histoire de tortillards ardennais (Georges Henrard – Editions Sabel – 1999)