Au printemps 1901, suite à l’autorisation de la Députation Permanente, la « Société Royale des Ex-Sous-Officiers » installe à Malchamps, pas loin de l’hippodrome de la Sauvenière, un stand de tir à l’arme de guerre. Les bâtiments de ce stand sont construits provisoirement en planches. Vu le succès rencontré les années suivantes, l’utilisation très fréquentes des installations par les gardes civiques et les retombées commerciales très importantes, la Ville de Spa rachète le site en juin 1905 et projette d’y construire un stand permanent avec des bâtiments en dur. Le projet, estimé à 119.332 francs, est adopté par les autorités communales et les travaux débutent en 1906 ; ils sont exécutés par l’entreprise « Bétons Armés Hennebique ». En réalité, le tir de Malchamps coûtera près de 200.000 francs et un tiers de la somme sera assumé par l’Etat. Les installations sont inaugurées le 16 juin 1907 lors du « Grand Concours International de Tir » placé sous le haut patronage du Prince Albert de Belgique.
Ce complexe impressionnant permettait le tir à l’arme de guerre, mais aussi le tir au révolver, à la carabine, à l’arc et même à l’arbalète, et ceci aux distances de 12, 30, 50, 100, 200, 300, 400, 500, 600, 800 et 1.000 mètres.
Les installations du tir de Malchamps s’étendaient sur 2 niveaux, comprenant chacun 27 emplacements de tir, offrant ainsi à 54 tireurs la possibilité de s’entraîner simultanément à l’abri des intempéries.
La plupart des cibles étaient établies sur des cadres mobiles adossés à de hautes buttes.
Aux distances de 500 et 1.000 mètres, on utilisait un système électro-automatique, breveté au début du 20ème siècle par son inventeur le capitaine commandant adjoint d’état-major René Marie Victor Bremer, du 9ème régiment de ligne. La cible Bremer est une cible en acier, de forme elliptique (grand diamètre 2,4 mètres, petit diamètre 2,25 mètres) ; elle est divisée en secteurs et fragments de secteurs. Une cible similaire, mais beaucoup plus petite, est située à côté du tireur.
Lorsque la balle frappe la cible à un endroit quelconque, un courant électrique agit sur la partie équivalente de la cible réduite et indique ainsi au tireur le point d’impact de son projectile. Le commandant Bremer écrira d’ailleurs, en 1907, un livre, sur le sujet, intitulé : « Les cibles électro-automatiques adoptées en Belgique par l’armée et la garde civique ».
Il semble que ce système, tout à fait remarquable pour l’époque, ait rencontré un certain succès à l’exportation ; des cibles ont notamment été vendues en France, en Russie, au Portugal, en Argentine, en Bolivie, en Hollande, au Guatemala, au Paraguay et même aux Etats-Unis. En Belgique, des cibles Bremer ont été installées aux camps de Beverloo, de Brasschaet et d’Elsenborn, ainsi qu’aux champs de tir de Liège (Droixhe), de Bruxelles, d’Ostende, de Namur, de La Louvière et de Binche.
Le tir de Malchamps, qualifié d’incomparable en 1907, fut le théâtre de nombreuses manifestations au cours des années suivantes. Une brochure intitulée « Notice sur le tir à l’arme de guerre érigé sur le plateau de Malchamps à Spa » a même été publiée. Elle vantait les avantages des nouvelles infrastructures utilisées principalement pour les exercices de la garde civique. Les Gardes Civiques viendront s’entraîner au tir de Malchamps jusqu’en 1914.
Néanmoins en 1913, la Ville de Spa vend le tir de Malchamps à l’Etat belge, tout en gardant la possibilité de l’utiliser sans devoir l’entretenir, et en conservant la pleine propriété des bâtiments. Cette situation, très particulière, finit par avoir des conséquences néfastes, car même si après la Première Guerre le site est utilisé par le 4ème Lancier caserné à Spa, les installations ne sont guère entretenues et dès 1921, elles se dégradent progressivement.
En 1927, la Ville de Spa tente de vendre les bâtiments à l’Etat, mais la transaction échoue. Le 10 mars 1932, une convention est signée entre la Ville de Spa et le Ministère de la Défense ; elle donne à l’armée la jouissance des lieux quand elle le désire. Malgré cela, le stand de tir de Malchamps continue à se dégrader.
Vers 1950, des problèmes de sécurité surgissent ; les balles des nouvelles armes (fusils mitrailleurs) passent au-delà du chemin de Berinzenne et rendent les séances de tir de plus en plus dangereuses et difficiles à organiser. Le 13 octobre 1961, le Ministère de la Défense renonce définitivement à l’usage du champ de tir de Malchamps. Depuis lors, la nature a repris ses droits et reconquis le site ; à part quelques vestiges, rien ne subsiste de ces imposantes installations.
Voici deux extraits du livre intitulé « Spa pendant la Guerre 1914-1918 », dans lesquels il est fait mention du tir de Malchamps :
« Le 12 août 1914, une troupe d’infanterie descendant la route de Malchamps réclame des beefsteacks au fermier Jean Noël-Jamar et à sa femme, et comme ces braves gens sont dans l’impossibilité absolue de satisfaire à ce désir, les gueux n’hésitent pas à mettre le feu à l’immeuble et restent jusqu’à ce que tout ce qui est combustible soit brûlé. Les dégâts s’élèvent à 15.000 francs. Au tir de Malchamps, on pille la basse-cour du concierge et l’on emporte sa récolte de foin ».
Début 1918, lors de l’installation du Grand Quartier Général allemand dans la ville d’eaux, les domaines Peltzer à Nivezé furent réservés au Kaiser et à sa suite : « Le Neubois fut relié à la ligne de chemin de fer par une voie ferrée qui prenait naissance au-dessus de la halte de Nivezé. La ville fut obligée de construire une canalisation d’eau spéciale pour alimenter convenablement « Le Neubois » (actuellement le Foyer de Charité), ce qu’elle fit en se servant de la source Salmon jaillissant non loin du tir à l’arme de guerre de Malchamps ».
La source Salmon (en réalité, deux sources distinctes : une source supérieure et une source inférieure), située dans la Fagne Salmon proche de la Sauvenière, était au début du 20ème siècle une des sources fournissant l’eau alimentaire à la ville de Spa. A cette époque la cité bobeline disposait de +/- 1.700 m3 d’eau de source par jour grâce à ses captages : Barisart (Mambaye), Dereppe, Jehin, Heid du Meunier, Tête du Cheval, Creppe, la Lébiolle, Chelui, Sauvenière (Salmon). Après la Seconde Guerre, les besoins sont devenus plus importants, principalement en été ; la production des captages communaux n’était plus toujours suffisante, si bien qu’un appoint venant du lac de Warfaaz était parfois nécessaire. Pour résoudre le problème de l’eau à Spa, le Conseil Communal (en sa séance du 26 février 1965) vota (6 voix pour et 5 voix contre) le raccordement du réseau local au barrage d’Eupen. Quelques années après, toutes les sources précitées, propriétés communales, furent cédées à Spa Monopole par une convention signée le 26 septembre 1974.
Jean Lecampinaire
Sources :
150 Ans de tir à Spa (J. Lohest)
Spa pendant la Guerre 1914-1918 (Administration Communale de Spa, J. Macquet, 1919)
Les Pouhons de Spa (A. Poskin, 1914)
Topographie Médicale du Royaume (A. Poskin, 1909)
Rapport communal 1964/1965
Rapport communal 1973/1974
La Vie Spadoise du dimanche 7 mars 1965
Monsieur Jean Toussaint, Monsieur le Lieutenant Général Willy Hanset