Ils sont deux. Ce sont peut-être les plus beaux arbres du parc de Sept-Heures … Ils ont même chacun leur parterre réservé ! Ils sont à tout le moins remarquables, avec leur tronc profondément crevassé, leurs longues branches étagées et tordues, l’esthétique de leur silhouette, la légèreté de leur feuillage, le parfum de leur floraison! Ce sont des robiniers qui n’ont de l’acacia que le nom…
Le botaniste suédois, Linné, les nomma ainsi en hommage à Jean Robin, « démonstrateur de botanique » au Jardin du Roi qui, en 1601, sema, place Dauphine à Paris, les premières graines rapportées d’Amérique du Nord.
Elles donnèrent assez rapidement un bel arbre. Trompé par ses gousses plates et ses épines acérées, Robin le prit pour une espèce d’acacia et le baptisa ainsi. Trente et un ans plus tard, son fils, Vespasien, replanta des rejets du premier spécimen obtenu par son père dans ce qui est devenu depuis le Jardin des Plantes. Il obtint le sujet que l’on peut encore y admirer aujourd’hui. Ce serait le plus vieil arbre de Paris, attestant ainsi de la longévité de l’espèce !
Le robinier appartient à la famille des Fabacées (ou légumineuses) et à la sous-famille des Papilionacées. A la suite de Robin, on le classa d’abord dans le genre Acacia (avec le mimosa). Son nom latin – Robinia pseudoacacia L. -, que lui donna plus tard le botaniste suédois Linné, en pérennise le souvenir.
Généralement, il ne faut pas aller bien loin pour découvrir un robinier. Depuis son aïeul parisien, il a été planté à des milliers d’exemplaires – et souvent naturalisé – sur les talus (fixation des sols instables), les terrils, les terrains vagues, les parcs, le long des voies de chemins de fer, surtout sur des sols secs, bien drainés et ensoleillés.
Comme il rejette facilement de souche et qu’il drageonne en abondance, ses longues racines traçantes produisent de nouveaux sujets parfois loin de l’arbre-mère. Ainsi, une reproduction végétative abondante, une croissance rapide, peu d’exigences quant au sol et une faculté à se fixer rapidement sur les sols pentus font que le robinier a souvent été classé dans la catégorie des envahisseurs…
Autre particularité, les racines du robinier, comme celles des autres légumineuses (trèfle, luzerne,…) portent des nodosités renfermant des bactéries nitrophiles capables de fixer l’azote de l’air et de mettre à la disposition des végétaux des composés azotés directement utilisables : acides aminés et protéines. Revers de la médaille, enrichissant le sol, le robinier élimine autour de lui les plantes indigènes des sols pauvres. C’est pour cette raison que dans certains cantons suisses, par exemple, il figure sur la liste des essences à éliminer.
Ainsi, le rustique robinier, originaire des Etats-Unis (Virginie, Caroline, Géorgie), s’est largement acclimaté en Europe de l’ouest se limitant toutefois à 700 mètres d’altitude. Vers le nord, son implantation s’est arrêtée aux Pays-Bas. On le retrouve même en Hongrie, où il a été massivement planté, couvrant jusqu’à près de 70.000 ha, afin de reboiser la steppe hongroise, la « Puszta ».
Le genre Robinia comprend une vingtaine d’espèces. Quelques-unes sont disponibles chez les pépiniéristes, comme Robinia hispida, « l’acacia rose », et un grand nombre de variétés ornementales ont été mises sur le marché, comme Robinia umbraculifera, le fréquent « robinier boule » et, même, un robinier sans épines.
Le robinier présente des caractéristiques facilitant son identification. Son houppier est clair, ses branches tordues, sinueuses. Son écorce est d’abord lisse, brunâtre, avant de devenir grisâtre, profondément crevassée longitudinalement. Ses jeunes rameaux sont lisses, portant des stipules épineuses acérées, groupées par deux à la base des feuilles. Celles-ci sont alternes, composées d’un nombre impair de folioles (11-15) qui, largement étalées vers la lumière le jour, reviennent s’appliquer l’une contre l’autre à la nuit tombante (phénomène dit de photonastie).
De mai à juillet, le robinier se couvre de fleurs blanches, en grappes pendantes, odorantes, hermaphrodites. Ce sont surtout les abeilles qui en assurent la pollinisation et fournissent l’excellent miel dit… « d’acacia »! Les fruits sont des gousses aplaties, un peu rougeâtres, logeant une douzaine de petites graines noirâtres.
Retenons encore que, cueillies en début d’épanouissement, les grappes de fleurs parfumées sont délicieuses, trempées tout entières dans une pâte à beignets un peu épaisse et passées à la friture (1) ; infusées dans de l’alcool et du sucre, elles donnent aussi une très bonne liqueur. Elles sont médicinales : toniques, astringentes, émollientes. Mais, au contraire, racines, bois, écorce fraîche et graines contiennent des alcaloïdes, toxiques, surtout pour les animaux. C’est le bois qui est le plus dangereux. S’il est très résistant à la pourriture et aux parasites et, donc, particulièrement durable, ses poussières et sa sciure sont fort toxiques, tout comme l’écorce (utilisée pourtant autrefois en laxatif, vomitif ou purgatif), provoquant vomissements et même convulsions.
D’autre part, le bois est facile à travailler et prend un beau poli. Il a de très bonnes propriétés mécaniques. On l’utilise pour faire des clôtures, des poteaux, des bois de mine, des traverses de chemin de fer, des piquets (vignes), du charronnage, des pilotis, des meubles de jardin, de la sculpture, des parquets,… C’est aussi un excellent combustible. Un de ses usages les plus insolites va aux copeaux de bois qui, bouillis, donnent un bain colorant pour teindre en jaune laine et tissus.
Voilà donc un envahisseur, pour une fois, bien utile !
Si vous voulez voir des robiniers…
Deux arbres vraiment remarquables s’épanouissent dans le parc de Sept Heures, au milieu des parterres faisant face au petit golf et à l’hôtel restaurant « La Tonnellerie ». Deux autres sujets plus malingres « survivent », vaille que vaille, au pied de l’escalier qui conduit au pavillon (local de la pétanque) au bout de la galerie Léopold II.
(1) Pierre LIEUTAGHI, La plante compagne, Acte sud, 1998
Michel Carmanne