Bobelins et roi des Bobelins

D’où provient le mot Bobelin désignant les étrangers venant « prendre les eaux à Spa ? »

L’historien Ferdinand Hénaux, dans son Histoire de la commune de Spa (1860), prétendait qu’il venait du latin « bibulus », grand buveur. D’autres explications ont encore été données, mais pour trouver la véritable origine de ce mot, il faut remonter à la forme dialectale ancienne, attestée dans des documents d’archives, à savoir « boublin ». Dans son Dictionnaire liégeois, Jean Haust écrit ce qui suit : « boublin -ène s.m. et f. sot, niais, stupide, ne se dit guère au masculin  » quéle boublène ( ancien français bobelin, adj. stupide; voyez. boubêrt – A Spa et aux environs, boublin = bobelin, buveur d’eau, étranger qui vient prendre les eaux « . ( boubêrt, boubié = nigaud, niais, bêta).

La première attestation de boublin en ce qui concerne Spa se rencontre en 1559 dans l’ouvrage de Gilbert Limborh « Des fontaines acides de la forêt d’Ardenne et principalement de celle qui se trouve à Spa », où on lit ceci à propos de la source de la Sauvenière: « Les habitans d’icelle forest… appellent les estrangers qui boivent cette eau d’un vocable assés estrange, à scavoir… boublins » (fd 8v°)

Collection Musée de la Ville d'Eaux

Collection Musée de la Ville d’Eaux

Ce problème étymologique a fait l’objet d’un article de M. Gaston Dugardin publié dans l’hebdomadaire « La Saison de Spa » du 6 juillet 1936. Il écrit que les habitants de Spa et des environs ont vu tout à coup arriver une foule d’étrangers qui devaient sembler assez bizarres aux paysans peu habitués à leurs manières raffinées. Ce même historien est revenu sur ce même sujet dans un article publié dans la revue « Les Bobelins » N°2. 1947 pp 51-53).

Le philologue liégeois Maurice Piron a publié dans la revue Le Français moderne (30 e année n°1 janvier 1962 pp.1-12) un article intitulé – Bobelin et sa famille dialectale que nous avons résumé dans une notice parue dans Histoire et Archéologie Spadoises n° 45, mars 1986 pp.31-39.

En 1565, un témoin spadois atteste avoir « veyu (vu) des boubelins puisser (puiser) dedans les pouhons ».

En 1630, une enquête est faite au sujet d’actes de mauvais gré commis par des villageois « contre ceux de Spa et contre les boublins estrangers qui y viennent boire les eaux, pour la raison que ces paysans sont fort hargneux et fort contre az manants dedit Spa et boublins susdits ».

Dans son Dictionnaire malmédien, Villers (1793) donne la notice suivante : « boublin: quelqu’un qui prend les eaux minérales ». En ancien français, le mot bobelin, encore connu au temps de Rabelais, signifiait « stupide », mais au XVIlle siècle, le sens s’en était perdu, et c’est pourquoi les étrangers venus à Spa ne s’offusquaient pas d’être appelés bobelins et, ainsi qu’on va le voir non seulement créèrent un ordre des Bobelins mais même élirent un roi des Bobelins. Il est question dans le premier volume des Amusemens des eaux de Spa (2 ed. 1735) d’un gentilhomme se disant comte de L. particulièrement infatué de sa personne qu’on pria d’accepter le titre et les honneurs de « Roi des Bobelins ». Un acte d’élection fut dressé et l’on en trouve le texte complet dans les Amusemens. On y lit que selon les lois et constitutions bobelines, le trône étant resté vacant par la retraite de Mylord Colifichet, de joyeuse mémoire, on avait jeté les yeux sur le très noble et illustre seigneur, Monseigneur N.N. soi-disant comte de L. et que, vu les alliances de celui-ci avec le Prêtre Jean, le roi du Congo et les Yncas du Pérou, le corps des Bobelins le choisissait comme roi des Bobelins et des fontaines de Spa, lui assignant tous les revenus et domaines des Rois ses prédécesseurs, y ajoutant toutes les exhalaisons ferrugineuses, nitreuses, alumineuses et varioliques des fontaines du Pouhon, Sauvenière, Groesbeek, Watroz, Tonnelet, Barisart et Nivezé pour les frais de sa toilette, comme fards, mouches, rubans, etc. … lui assignant en outre tous les débris de verres et bouteilles cassées pour servir de fonds aux bals qu’il donnera aux Dames bobelines. Cet acte est donné « en notre capitale de Spa, près la vénérable fontaine du Pouhon ». La cérémonie d’intronisation du roi des Bobelins fut fixée au lundi dans l’après-midi. La salle du Pouhon était remplie d’instruments de musique et on y trouvait une table chargée de confitures, de pâtisseries pour les dames et de vin pour les hommes.

La fontaine avait été ornée de feuillages et de guirlandes. On avait affublé un jeune garçon de vêtements extravagants singeant ceux que portait le comte. Pour imiter le fard et le rouge du comte, il avait les joues barbouillées avec du jus de mûres sauvages et il s’était en outre appliqué des mouches sur le visage. Ainsi équipé, il devait faire l’office de héraut d’armes. Le comte parut accompagné de valets et précédé de son héraut d’armes. On avait prévu que le « roi » serait assis près du Pouhon dans un siège de verdure, et que tous les Bobelins viendraient jurer qu’ils observeraient les statuts de l’ordre tels qu’on peut les lire sur des règlements imprimés, après quoi il devait être porté en pompe dans le bourg au son des instruments, pour se rendre ensuite aux autres fontaines.

Cette cérémonie burlesque n’eut pas lieu cependant, car une duchesse, qui était du complot avec d’autres nobles étrangers, eut pitié du futur roi et lui révéla qu’on se moquait de lui. On fit alors crier par les valets qu’on devait se rendre à la Prairie (nom ancien du Parc de 7 heures) où eut lieu un bal champêtre qui dura jusqu’au souper. Quand au « sot comte », honteux et confus, il quitta Spa le lendemain sans tambour ni trompette.

Un exemplaire du règlement du Roi des Bobelins, comprenant vingt articles est reproduit dans l’article publié dans Histoire et Archéologie Spadoises.

Certaines dispositions de ce règlement sont assez grivoises, comme par exemple l’interdiction de citer en justice les femmes ou filles qui auront « mouillé le gazon en temps de fenaison ». Cette ordonnance est signée Bois-bien, roy des deux hautes et basses Géronster, duc du Pouhon, comte des fontaines de la Sauvenière et Grosbeek, Marquis du Watroz, Tonnelet etc. …

Léon Marquet


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