Conférence du Dr Poskin en 1941
Nous avons retrouvé un document sur l’analyse de l’état des diverses sources de Spa en 1941. Il s’agissait d’une conférence donnée par le docteur Poskin. Les informations font état déjà à cette époque des problèmes du captage de la source de Barisart. Nous vous livrons un extrait de cette conférence.
« Jusqu’en 1908, cette source n’était qu’un pouhon sauvage, que l’on avait muni d’un petit encadrement rocheux. On puisait l’eau en y plongeant les verres au moyen d’une «épuisette». Pénétrés de la nécessité d’assurer par des captages sérieux l’avenir des sources minérales de Spa, les membres du Collège chargèrent Monsieur Decq, Ingénieur de la Ville, d’entreprendre le captage de Barisart comme premier travail, afin d’acquérir une expérience suffisante pour aborder ensuite le problème du Prince de Condé. Rappelons que Monsieur Decq avait fait jadis ses premières armes au Tonnelet, sous les ordres de Mr Van Scherpenzeel Thym, de Louvain.
Monsieur Decq résolut de suivre le procédé appliqué à Schwalbach avec un succès complet par l’Ingénieur suisse Scherrer, qui avait exécuté pour les Gouvernements prussien, bavarois et autrichien de nombreux travaux analogues. Malheureusement, à ce moment, l’atmosphère du Conseil communal de Spa était surchargée d’électricité. L’entreprise, dès le début, fut conçue d’une manière trop étroite, bornée constamment par la crainte des critiques que pourraient entraîner des dépenses même fort peu importantes. Malgré cela, il s’en fallut de très peu pour qu’on obtienne un résultat brillant et, actuellement encore, il faudrait très peu d’argent pour atteindre ce résultat par une réparation simple.
On commença par assécher l’étang de Barisart, dont on soupçonnait assez justement l’eau de venir se mélanger au griffon non capté. On creusa ensuite à quelques mètres du petit encadrement où se recueillait l’eau et on tomba aussitôt sur des sourdants abondants, en même temps que tarissait le petit «pouhon» ancien. On creusa de plus en plus, en suivant le trajet des griffons, et on créa ainsi une excavation carrée de 5 m de côté.
Je décris ce travail avec détail, parce que je l’ai suivi presque jour après jour et il fut fait exactement d’après les données que j’ai vu appliquer à Schwalbach, où je fus un jour admis à visiter le captage que l’on faisait à l’Helenenquelle. A mon avis, il pourra servir de modèle quand on reprendra à Spa la question des captages. Donc, on creusa progressivement. Bientôt, on arriva à l’argile bleue, couche de quelques mètres formée d’une substance collante et imperméable dérivant du schiste par l’action séculaire de l’eau minérale. Celle-ci atteignait le sol par des fissures de cette argile bleue qui la protège assez bien contre le mélange avec l’eau superficielle jusqu’à son arrivée dans le gravier. On arriva enfin à la roche dure, compacte. L’excavation carrée avait 5 m de côté (beaucoup trop peu !) et une profondeur de 10 mètres environ. Naturellement, il fallait pomper jour et nuit, au moyen d’une pompe électrique, pour enlever les eaux qui s’accumulaient, eau minérale provenant du fond et eaux sauvages sautant de la paroi. Dans le fond, l’atmosphère était irrespirable à cause de l’abondance de l’acide carbonique et il fallait insuffler constamment de l’air pour que les ouvriers puissent y travailler. J’ai éprouvé moi-même à cet endroit l’étrange impression de ne pouvoir respirer dans une fosse éclairée par un soleil lumineux.
Dans le fond, plusieurs sources minérales importantes se font jour, dont l’une un peu contre la paroi verticale. Ces pouhons, quoique si voisins, présentent des différences de composition très importantes. Les griffons les plus forts ont la même composition en fer que le Pouhon Prince de Condé, c’est dire qu’il y a là une source ferrugineuse d’une richesse maximum possible.
M. Decq décida de faire un captage double : celui des pouhons les plus forts et celui des sources faibles, dont l’eau pourrait éventuellement servir au rinçage des verres. Il fit donc couvrir de chapes en cuivre étamé quatre ou cinq sourdants, les fit solidement cimenter et cimenta tout le bas de la fosse. Les pouhons forts furent conduits par des tubes en cuivre légèrement ascendants à un tube vertical placé debout au centre du captage et protégé par de gros tuyaux de béton verticalement superposés. Les pouhons plus faibles furent amenés à une colonne ascendante, placée latéralement, puis commença le travail de dammage de l’argile bleue que l’on avait extraite du sol et qui fut rejetée dans la cavité pour former une couche imperméable. Bientôt on eut rempli la cavité à plus de la moitié. On voyait alors, émergeant de l’argile bleue solidement dammée, le tube protecteur en béton, au milieu duquel se dressaient les tubes en cuivre, dont les segments doivent diminuer de diamètre vers le haut et, dans le coin sud, un deuxième tube, plus étroit. L’eau sortait abondamment de chacun des deux tubes, ainsi d’ailleurs que de la paroi du sol, et il fallait pomper avec persévérance pour que la continuation du travail fut possible. La colonne centrale fournissait une eau claire et merveilleuse, au goût de pouhon très accusé, piquant au nez par suite de l’abondance du gaz.
Il semblait bien que l’on arrivait à réaliser le plus beau travail de l’espèce à Spa, lorsqu’un accident stupide, et qu’aucune administration n’a encore eu le courage de réparer !, vint mettre à néant ces espoirs, je dirai : ces certitudes. Un jour, Monsieur Decq, qui se rendait à la source deux fois par jour et quelquefois la nuit, fut pris de grippe, et ne put aller surveiller l’ouvrier chargé de la marche de la pompe pendant la nuit. L’ouvrier, paresseux, se dit dans sa haute sagesse que ce pompage était inutile et ne trouva rien de mieux que d’enfoncer dans le tube central un bouchon, pour empêcher l’arrivée du pouhon ; puis il s’en alla, satisfait de son esprit inventif… Quelques heures plus tard, avec un bruit de détonation qui fut entendu dans le bâtiment voisin, le bouchon fut violemment projeté au dehors. Mais quand on se rendit sur les lieux le lendemain matin, le magnifique « pouhon » qui s’offrait à la colonne centrale était devenu une source ferrugineuse faible, beaucoup moins gazeuse.
L’Administration communale n’eut pas le courage de faire vider à nouveau la cavité pour que l’on puisse connaître quel dégât intérieur s’était produit (probablement une explosion de gaz carbonique sous pression ayant rompu des joints et provoqué l’irruption d’eaux sauvages) ; on ferma précipitamment, de peur de joutes oratoires au Conseil, et depuis, malgré le peu d’importance d’un semblable travail, malgré l’insistance de médecins compétents, personne, pas même la Commission gouvernementale, ne crut devoir s’intéresser à la chose. La préoccupation qui domine dans l’esprit de tous ceux qui gèrent des eaux minérales à l’étranger, tant en France qu’en Allemagne, en Angleterre qu’en Suisse, celle d’assurer la pureté de l’eau, sembla rester étrangère à ceux qui géraient Spa !
Cependant, il eut suffi de consacrer à ce travail la somme que coûte un seul cortège carnavalesque, d’ailleurs oublié dès le surlendemain, pour assurer définitivement la conservation et la qualité d’une source célèbre. Le captage de Barisart est celui qui fut le mieux conçu, dont l’exécution fut la plus soignée, et dont l’échec est exclusivement dû à l’acte stupide d’un ouvrier paresseux.
Il est extrêmement probable qu’une réparation peu importante permettrait à très peu de frais un retour de l’excellent résultat, dont nous nous étions réjouis pendant toute la première phase des travaux. J’espère voir réaliser ce travail. »