Cokaifagne (anciennement Coquaifagne) est un petit hameau de l’ancienne commune de Sart-lez-Spa. Le toponyme « Cokaifagne » provient, d’après Guy Vitrier, d’un surnom donné à une famille de Sart : En 1673, on trouve un certain Henry le Cocquea … En 1687, Hubert le Cocquay de l’hôpital en fagne … En 1693, on cite la Fagne le Cocquay … En 1788, on parle du hameau de Cocquay Fagne !
Selon Albin Body, historien spadois, Cokaifagne se dénommait autrefois « Clocke è Fagne » (soit cloche en fagne). Pour lui, ce nom serait en rapport avec un « hospitale » ou hôpital, au sens large du terme (maison d’accueil pour voyageurs, maladrerie, refuge de charité, …), qui aurait existé jadis à cet endroit et dont la chapelle aurait été dotée d’une cloche !
Au fil du temps, l’orthographe du toponyme Cokaifagne a évolué : la carte Ferraris de 1777 mentionne « Coque en Fagne », la carte de H. Godin représentant le marquisat de Franchimont en 1782 situe « Cocaifagne », une carte de l’Institut cartographique militaire datée de 1903 indique « Cokenfagne », …
Au milieu du 18e siècle, le hameau de Cokaifagne (en wallon : Cokêfagne), situé à l’altitude de 500 mètres, était composé de 5 habitations. Fin du 19e siècle début du 20e siècle, il était principalement habité par des agriculteurs. C’est à partir de 1880, lorsque les trains de la ligne Spa-Stavelot-Gouvy ont fait arrêt à la gare sartoise, distante d’un peu plus d’un kilomètre, que le hameau s’est développé. Depuis la fin du siècle dernier, suite à la construction de nombreuses habitations, les hameaux de Cokaifagne et de Sart-Station (voir ci-après) se jouxtent. Aujourd’hui, Cokaifagne est devenu essentiellement résidentiel, il n’y a plus d’exploitation agricole. Un hôtel, un restaurant et une société active dans le domaine des énergies renouvelables constituent l’essentiel de l’activité économique du hameau.
Histoire et légende de l’hôpital de Cokaifagne
La présence au Moyen Age d’un hôpital (voir définition au 2e paragraphe) à Cokaifagne, à l’orée des Hautes-Fagnes, peut sembler étrange. Toutefois, à l’époque, l’endroit semblerait avoir été plus fréquenté qu’il n’y paraît. En effet, jadis, la route reliant Sart et Hockai, en passant par Cokaifagne, faisait partie du grand chemin Tongres-Trèves et de la fameuse « Voie du Fer ». Cette voirie isolée a certainement dû être foulée par pas mal de monde : paysans, marchands, pèlerins, bandes armées. Un lieu de repos à Cokaifagne pouvait donc avoir sa raison d’être ! D’ailleurs, non loin de là, certaines anciennes cartes renseignent : la « Fagne des Malades » (l’Fagne dès Malâdes) et la « Fagne de l’Hôpital » (l’Fagne a l’Opital). Ce serait dans une prairie située entre l’imposante « Ferme Philippart » (devenue « Ferme Willem », actuellement ?) et la « Ferme Rose » (propriété du commandant Lemaire, par la suite maison de repos, actuellement l’hôtel « The Kottage ») que se trouveraient, à quelques pieds sous terre, les fondations de ce qui fut l’hôpital de Cokaifagne !
La légende
Par un soir d’hiver, alors qu’il revenait d’Allemagne, Gérard Helman, un riche marchand sartois, s’égara. Il erra longtemps sur le plateau fagnard, puis, terrassé par la fatigue, le froid et la neige, il s’écroula. Désespéré, il implora le ciel et promit d’élever, à l’endroit même où il était tombé, un asile pour les égarés, s’il conservait la vie et retrouvait son chemin. Soudain, au loin, le son d’une cloche se fit entendre. Le marchand, reprenant courage, se dirigea vers le clocher invisible et parvint ainsi à Sart. Gérard Helman tint sa promesse et fit construire un refuge au milieu des landes fagnardes, là où il vécut des heures douloureuses. Il chargea l’ermite Hadelin de l’entretien des lieux. Celui-ci éclairait la tour de la chapelle dès que le soir tombait et par temps de brouillard ou de neige agitait une cloche.
Avant de mourir, le marchand sartois fit jurer à son fils Godefroid de perpétuer l’objet de son vœu. Hélas, Godefroid menait une vie dissolue et il laissa tomber en ruines la pieuse fondation de son père. Un soir de décembre, de retour d’un long voyage, fatigué, il s’arrêta à l’hôpital abandonné et tomba malade. Seul, sans soins, tenaillé par les remords, il rendit son dernier soupir au milieu des ruines qu’il avait provoquées. Le printemps venu, un herdier retrouva le cadavre dans le refuge délabré. Près de lui, on trouva un vieux bréviaire dans lequel le malheureux avait écrit quelques lignes : « Serment violé … châtiment mérité ».
L’histoire
Cet hôpital a-t-il réellement existé ? C’est en 915, que l’acte de donation de la forêt de Theux à l’église Saint-Lambert de Liège par Charles le Simple mentionne pour la première fois « l’Hospitale », point de repère des limites à l’est du domaine. Il s’agissait vraisemblablement de Cokaifagne, vu la proximité du lieu avec la Vecquée (Vèkée) qui marquait à cet endroit la frontière du fisc de Theux. Au fil du temps, de nombreux documents mentionneront en ce lieu : une localité, un bâtiment hospitalier, ou une chapelle. Parmi ceux-ci : un record des Cours de Justice de Theux et de Baelen daté de 1388, un document de 1493 sur lequel il est question d’une fagne près de « l’ospitail de Cockaifagne », la carte Mercator de 1520, une carte française de 1760 représentant le Pays de Liège qui indique un « Hopital enfenge ». Les archives de Sart nous apprennent qu’en 1581 « Lhospital en fangne » tombant en ruines, le curé de la paroisse le fit mettre en vente au profit de « la Table des Pauvres ». Le 17 novembre de la même année, le bien est acheté par Jean-Quirin Pardicque de Sart. Un autre acte sartois de 1593 mentionne que l’ancien hôpital était au vocable de Saint-Nicolas-en-Fagne. Deux siècles plus tard, l’ancien refuge est cédé à un certain Mathieu Depouhon ; un de ses descendants, Henri Depouhon, affirmait que les fondations de l’hôpital se trouvaient dans sa propriété. Par la suite, le bien fut acheté par la famille Jacob. En 1893, un archéologue liégeois, Charles Comhaire, commença des fouilles qui mirent à jour le tracé d’un bâtiment de plus de 26 mètres de long et d’une douzaine de mètres de large (comprenant, semble-t-il, une chapelle pavée suivant une technique utilisée au Moyen Age). Hélas, les recherches ne furent jamais finalisées !
La source Damzai
Jusqu’au début du 20e siècle, pour son approvisionnement en eau, la commune de Sart était tributaire de l’eau fournie par les puits situés sur son territoire. Souvent, la quantité de cette eau était insuffisante et sa qualité douteuse. En 1911, suite à une étude relative à la source Damzai, située à Cokaifagne, la commune de Sart est informée que ladite source a un débit de plus de 63 m³/jour. En 1919, la commune de Sart-lez-Spa achète à Jean Herman le terrain sur lequel jaillit la source. Trois années de travaux furent nécessaires pour obtenir un débit journalier de 400 m³ et une réserve de 140 m³ contenue dans une galerie. Depuis 1927, la source Damzai a permis d’alimenter en eau potable 450 habitations sartoises. En 1994, la commune cède son réseau de distribution d’eau à la S.W.D.E. En 2010, la société précitée abandonne le captage de la source Damzai, la proximité de l’autoroute empêchant la création d’une zone de protection.
Jean Lecampinaire
Sources :
Spa-Stavelot (Georges Henrard – 1999)
Histoire de la jonction belge-grand-ducale (Michel Accarain – 1999)
Histoire du ban et de la commune de Sart (François Michoël – S.d.)
Petite histoire sartoise (Michel Carmane – 2005)
Toponymie de la commune de Sart-lez-Spa (Guy Vitrier – 1963)
Au Pays de Spa (Editions J’Ose -1939)
La Chapelle Hasinelle à Sart (H.A.S. – Décembre 2010 – Alex Doms)
Réalités n° 306 et 324 (articles de Noëlle Willem)
MM José Laurent, Yvon Willem