Gustave Xhrouet, car c’est bien de lui qu’il s’agit sur la photo-avis de recherche parue dans Réalités du mois passé, fut un personnage tout à fait hors du commun. Il naquit à Spa en 1853. Son père, boulanger, l’envoyait déjà à l’âge de 8 ans, ravitailler en pains les ouvriers qui construisaient notre ligne de chemin de fer.
La famille partit s’installer définitivement à Paris vers 1865 et reprit une boulangerie dans le quartier des Batignolles (1). Le petit Gustave, lui, entra d’abord à la Compagnie Parisienne des Omnibus, pour monter les chevaux et assurer les relais, puis au fil du temps gravit les échelons de la hiérarchie de la profession et devint côtier (c’est-à-dire le dur travail de monter les chevaux de renfort que l’on ajoutait pour tirer dans les côtes). Puis enfin, il fut promu conducteur.
Plus tard, il s’engagea comme cocher successivement au service de plusieurs hommes d’Etat importants, notamment Gambetta, et en dernier lieu auprès de l’inspecteur général des prisons ; c’est à partir de ce moment-là qu’il commença à s’intéresser aux rats. Il avait concocté une recette bien à lui, dont il garda le secret, pour les attirer et les capturer en grand nombre. Il en vendait à tous les cochers pour dresser leurs chiens, qui aussitôt appris, chassaient et croquaient tous les rats qui infestaient à l’époque, les écuries.
Au bout d’un certain temps, inlassable travailleur, il eut la grande satisfaction de pouvoir ouvrir un manège près de l’Etoile, qui ne fonctionnera hélas pour lui, que quelques années, car vers 1900, vélos en tous genres et automobiles apparurent sur le marché et les chevaux furent de moins en moins utilisés. Notre homme dut fermer son manège et c’est alors qu’il décida de donner un tournant définitif à sa « carrière » et ne se consacra plus entièrement et définitivement qu’aux rats. Il eut alors l’idée d’installer un ratodrome à Neuilly, en prenant modèle sur celui de Spa qu’il avait eu plusieurs fois l’occasion de visiter lorsqu’il revenait voir ceux de sa famille qui étaient restés au pays.
Une parenthèse (2) est ici nécessaire pour donner quelques explications sur le ratodrome spadois, qui se situait donc au « Vélodrome », notre actuel terrain de football de la rue de la Géronstère. Les joutes qui s’y déroulaient attiraient énormément de monde, surtout des étrangers. Elles consistaient à introduire un chien ratier et, suivant sa force et sa célébrité, 4, 5 ou 6 rats avec lui, dans une cage en treillis d’environ 1m/ 1,5 m. C’était immédiatement la bagarre et souvent le carnage. Un bon ratier croquait jusqu’à 6 rats en 5 minutes, mais parfois aussi des chiens mordus par les rongeurs qui se défendaient jusqu’à la mort, cherchaient à fuir ou parer les nouvelles attaques. Des chronométreurs contrôlaient la rapidité des concurrents et les paris allaient bon train.
Ce genre d’attractions inhumaines ne persista bien heureusement que quelques années après 1900. Des concours de ce genre eurent aussi lieu au Fond du parc de 7 Heures, mais beaucoup plus rarement.
A ce propos, on trouve dans le très officiel programme des Fêtes de la ville de 1896, en date du 17 mai, un « Concours » de chiens ratiers au Vélodrome, organisé par le Fox-terrier-club de Spa « , intercalé entre le très mondain 1er concours du Championnat national de Lawn-Tennis et une Fête de la Gymnastique organisée par la société « La Spadoise » ! ! (3)
Mais revenons-en à Gustave Xhrouet. Il ouvrit donc son ratodrome à Neuilly et donna en spectacle des chiens de toutes espèces surtout des Fox, bien sûr, mais aussi des Danois et des Bergers allemands, toujours en compétition pour croquer les rats. Il déménagea quelques années plus tard à St-Denis et l’on considère que ses deux ratodromes fonctionnèrent pendant près de 30 ans. Parallèlement à cette activité, il fournissait aussi quantité de rats aux laboratoires de l’Institut Pasteur et pendant la guerre de 14-18, il fut le gérant du « Club du chien de police », il dressait leurs chiens en grand nombre, qu’on lâchait ensuite dans les tranchées et dans les magasins généraux d’alimentation des troupes, pour les dératiser !
Dans sa vie mouvementée, il connut aussi le siège de Paris et la famine qui y sévit. Il se défendait toujours d’avoir vendu des rats aux restaurants et aux charcutiers, mais il racontait qu’il en avait préparé et mangé juste pour lui et ses amis, et que ma foi, c’était très fin et très bon !
Il était considéré comme une curiosité vivante par toute la colonie belge de Paris, dont il fut à un certain moment, le doyen d’âge. Il connaissait plusieurs hauts fonctionnaires de l’Ambassade de Belgique et un jour qu’il sortait du bâtiment, un journaliste américain qui s’y trouvait justement, fut intrigué par le personnage et s’en informa. Piqué par l’originalité de l’homme, il décida de lui consacrer un article lorqu’il serait rentré aux U.S.A- C’est ainsi qu’un peu plus tard, l’ambassade belge reçut un exemplaire de « l’American Weekly », qui relatait cette vie hors du commun et l’on y trouvait notamment, mis en exergue, le récit d’un pari que notre Gustave avait fait et qui devait lui rapporter gros : capturer 800 rats en une nuit. L’opération, faite dans les règles et surveillée pour qu’il n’y ait pas de tricherie, réussit, et il se présenta donc le lendemain matin pour le paiement, avec un chargement de 800 rats bien vivants et bien portants ! (l’histoire ne dit pas qu’il les laissa en prime au parieur perdant !)
Les années passant, on arriva en 1939, il avait donc 86 ans, il décida d’arrêter, vendit son matériel et ses rats et entra à l’Hospice belge de Courbevoie. Il y terminera paisiblement une vie bien remplie et chargée de souvenirs vraiment pas ordinaires (4)
Monique Caro-Harion
1)En 1940, on retrouvait encore paraît-il, dans ce quartier pittoresque un Xhrouet boulanger, probablement un neveu ou petit-neveu.
2) Le ratodrome de Spa – G. Spailier- Les Cahiers Ardennais 1935 – Edit. J’Ose.
3)Programme des Fêtes – Ville de Spa et Cercle des Etrangers 1896. Spa Imprim. Lebrun – Coll. Pers.
4)Un Spadois Gustave Xhrouet, maître dératiseur- O. Sornin de Leysat- Le Soir Illustré – fév. 1939 – repris par P. Lafagne dans les Cahiers Ardennais.
Ces documents très intéressants ont été prêtés par M. et Mme Effenberg.