Dès la fin novembre 1944, des dizaines de parachutistes allemands, parlant parfaitement l’anglais et portant l’uniforme américain, furent largués dans notre région, notamment dans la fagne de Jalhay. Leur mission : saboter, déstabiliser, désorganiser, espionner et s’emparer d’éventuels dépôts d’essence.
Le 14 décembre, quatre de ceux-ci furent arrêtés à Spa boulevard des Anglais et trois autres à Nivezé. Tous ces hommes faisaient partie de la brigade du lieutenant-colonel Otto Skorzeny. Les mauvais largages effectués par les avions et la dispersion des unités restantes rendirent impossible la prise des dépôts de carburant. Le 22 décembre, ces unités allemandes, habillées et équipées à l’américaine, étaient totalement neutralisées.
L’offensive proprement dite, appelée « Battle of the Bugle » (Bataille du Saillant) par les Américains et « Herbstnebel » (Brouillard d’Automne) par les Allemands, commença au matin du samedi 16 décembre. Ce jour-là, des bruits de canons se firent entendre en provenance de l’Allemagne. Très vite, des divisions allemandes, amassées derrière le front depuis des jours dans le plus grand secret, passèrent à l’attaque et réenvahirent notre pays.
L’objectif allemand était simple, d’abord franchir la Meuse puis gagner Anvers et neutraliser son port par lequel arrivaient les renforts et le ravitaillement des Alliés. Notre région fut confrontée à la 6e Armée Panzer SS du général Sepp Dietrich, et plus spécialement au groupe de combat du colonel Joachim Peiper, équipé des fameux tanks « Tigre royal », (le n°213 du capitaine Helmut Dollinger se trouve devant le Musée de La Gleize).
Des rumeurs inquiétantes arrivèrent bientôt à Spa. Les Allemands revenaient. Le dimanche 17 décembre, l’appariteur communal spadois annonça un couvre-feu de 18 à 7 heures, nombreux furent alors ceux qui regagnèrent leurs caves pour y passer la nuit. Pour certains, comme en 1940, ce fut de nouveau l’exode, presque tous s’arrêteront à Liège quelques jours en attendant des nouvelles rassurantes en provenance de la cité bobeline.
Le 18 décembre, l’avant-garde des troupes de Peiper atteignit La Gleize ; elles y resteront jusqu’à la veille de Noël. De lourds combats y auront lieu ainsi que dans le village de Stoumont. Devant la gravité de la situation, le Quartier Général de la 1ère Armée Américaine, commandée par le général Courtney Hodges, quitta Spa dans la matinée du 18 décembre et se replia sur Chaudfontaine, puis à Micheroux et ensuite à Tongres. Le dépôt d’essence de la Géronstère, installé à la mi-octobre, contenant plus de 7 millions de litres, fut évacué les 18 et 19 décembre par des dizaines de camions roulant presque pare-chocs contre pare-chocs ; celui installé le long de la route Stavelot-Francorchamps fut incendié par ses gardiens.
Dès le début de l’offensive, les V1, des bombes volantes, lancées depuis l’Eifel en Allemagne, survoleront notre région. Les villes de Liège et d’Anvers étaient leurs cibles. Certains de ces V1 tomberont en panne de carburant et s’écraseront en cours de route.
C’est le 21 octobre 1944, vers 7 heures du matin, que la 1ère bombe volante passa au-dessus de « nos têtes » et ce fut le 31 janvier 1945 que la dernière survola notre contrée. Plus de trente de ces « sinistres robots » tombèrent sur la région spadoise. Voici quelques dates et quelques endroits connus : le 30 novembre au milieu du village de Tiège, il y eut 3 morts ; le 30 décembre non loin du château des Sorbiers, rue de Barisart à Spa ; à Nivezé, quatre V1 tombèrent : le premier près du château du Neubois, un autre chemin du Soyeureux, un troisième dans les Basses-Nivezé et un quatrième près de l’église, le 17 janvier ; à La Reid en décembre ; près de Creppe en décembre, à Sart, en Province de Liège 2141 « V1 » tombèrent et firent 1349 victimes.
Pendant plusieurs jours, les énormes canons des batteries d’artillerie lourde installées au Croupet du Moulin à Sart-lez-Spa, dans les Basses-Nivezé et dans le Haut-Nivezé ainsi que dans les environs de la Fagne de Solwaster pilonneront les troupes allemandes déployées sur les bords de l’Amblève.
Le 19 décembre après-midi, une patrouille allemande, composée de 4 véhicules blindés, quitta La Gleize et emprunta la route de Borgoumont mais elle fit demi-tour après le hameau de Cour suite au premier coup de canon tiré par la batterie D du 110e A.A.A. (bataillon d’artillerie anti-aérienne) commandée par le capitaine Reiver. Cette batterie, qui était installée à Creppe depuis la 3e semaine d’octobre 1944 afin de protéger le Quartier Général de la 1ère Armée Américaine établi à Spa, avait été envoyée dans la journée du 18 décembre sur la route d’Andrimont au lieu-dit le Rosier pour protéger le dépôt d’essence de la Géronstère en cours d’évacuation. Ce fut le point extrême de l’offensive allemande dans la direction de la ville d’eaux.
La borne souvenir du Touring Club de Belgique, inaugurée le 8 mai 1949, située au bord de la chaussée Spa – La Gleize entre la source de la Géronstère et la piste de ski du Thier des Rexhons, juste en face de la route venant de Creppe, a été placée erronément à cet endroit. Jamais les Allemands ne sont arrivés là en décembre 1944. Le 8 septembre 2012 fut inauguré une autre stèle, offerte par Monsieur Gérard Grégoire, un des fondateurs du Musée « December 44 » de La Gleize ; cette nouvelle stèle a été placée par le service des travaux de la Commune de Stoumont à l’endroit exact, où, le 19 décembre 1944 après-midi, la patrouille allemande précitée fit demi-tour.
Le 19 décembre, la 82e Division Airborne commandée par le général Jim Gavin et la 3e Division Blindée dirigée par le général Maurice Rose furent engagées dans la bataille ; elles avaient pour mission de libérer la vallée de l’Amblève ; elles furent aidées par le 740e Bataillon de tanks du lieutenant-colonel George K. Rubel.
Du 19 décembre au 22 décembre, un épais brouillard recouvrit la région, empêchant toute intervention de l’aviation alliée. Les jours suivants, le brouillard se leva, mais la température chuta brutalement. Des combats aériens eurent lieu dans le ciel spadois, des bombes tombèrent boulevard Rener, place de l’Abattoir et avenue des Lanciers, faisant quelques victimes. La neige tomba durant les derniers jours de décembre 1944 et recouvrit la région jusqu’au 10 février 1945, atteignant jusque 50 cm d’épaisseur, le tram reliant Spa à Verviers ne roula plus ; il gela pendant des jours à -20°C.
Le 27 décembre, une batterie d’artillerie lourde arriva sur les hauteurs de La Reid, plus précisément au hameau de Vertbuisson. Le lendemain, à 2 heures du matin, les servants reçurent l’ordre de tirer en direction de Bullange. Lors du premier tir, l’obus explosa dans la culasse tuant cinq des quatorze artilleurs présents. Fin juillet 1945, les habitants du hameau firent placer une stèle à la mémoire des cinq victimes.
A partir du 3 janvier, la contre-offensive américaine démarra et inexorablement regagna le terrain perdu. Enfin, les combats s’éloignèrent de notre région.
Le 12 janvier, la 75e Division d’Infanterie releva la 82e Division Airborne. Fin janvier 1945, les Américains avaient repris leur marche vers le cœur de l’Allemagne.
S’il est vrai que les faits d’armes de Bastogne symbolisent « la Bataille des Ardennes », les combats de Stoumont-La Gleize furent décisifs dans notre région et y bloquèrent net l’invasion germanique.
Jean Lecampinaire
Sources :
Spa et les Américains (G.R. de Lame – 1948 – Editions Soledi)
La Bataille de l’Amblève (M. Bovy : 1949, Editions Les Amitiés Mosanes)
Les Panzer de Peiper face à l’U.S.Army (G. Grégoire)
Creppe sur la voie du temps passé (P. Gendarme – J. Lohest : 1989)
Quand l’offensive von Runstedt menaçait Verviers (Heagy – Editions Vinche)
Il y a quarante ans 1944-1984 (G. Spailier 1984 Editions J’Ose )
Drames de la vie quotidienne à La Reid en mai 1940 (J.-L. Seret, 2010)
Lettres de noblesse des habitants de Vertbuisson (A. Andries – 2006)