Jules Bara est le nom que le comité de quartier a donné à son géant. Ce personnage a réellement existé. Il était porteur-d’oiseau c’est-à-dire un manœuvre maçon « un peu simple ». Il avait, paraît-il, perdu un « bois de son fagot ». Il n’était pas très connu et habitait le Vieux-Spa. Jules vivait paisiblement. Son travail était très dur mais il était fort. Il montait le mortier et les briques aux maçons expérimentés.
Ses camarades, maçons et manœuvres, lui faisaient souvent des farces ; par exemple l’envoyer chercher « l’équerre à roulettes » ou « le niveau en coin ». Et Jules revenait tout penaud, parce qu’il n’avait pas trouvé ce qu’on lui demandait.
Un jour où les ouvriers avaient posé le bouquet sur le sommet de la maison qu’ils venaient de finir, après avoir bu quelques gouttes de pèket, ils envoyèrent (pour se moquer de lui) Jules à la fontaine en lui demandant de remplir une « manne d’eau ». Jules fit de grands yeux effrayés … une manne d’eau … Comment remplir une manne d’eau ? Il descendit de l’échafaudage en réfléchissant. Les ouvriers buvaient et riaient.
Arrivé à terre, Jules s’arrêta … et il lui vint une bonne idée en voyant un tas de « stramé » (mortier fait avec de l’argile et la paille hachée). Avec ses grandes mains, il couvre l’intérieur de la manne avec ce mortier, puis il courut au bac de l’abattoir communal, là où les « bouweresses » rinçaient leur linge. Il place la manne en dessous de la « trûtchette » (tuyau). Les yeux de Jules luisaient de bonheur … la manne se remplissait. Il la chargea sur son épaule, remonta sur l’échafaudage et arriva tout fier devant les maçons et les manoeuvres estomaqués qui ne savaient plus quoi faire devant Jules. Les hommes se mirent à rire, d’un rire jaune…
C’est ainsi que la légende de Jules est née. Jules Barra est devenu un personnage dont nos parents aimaient conter l’histoire, le soir, auprès du petit poêle de fonte rougi, à la lumière de la lampe à pétrole. Jules Bara avait bien mérité que nos aïeux nous racontent son histoire. Certes, il etait peut-être un peu simple mais il avait du bon sens, alors que pas mal de gens qui se disent très malins n’en ont guère !
Le comité de quartier a choisi ce personnage pour montrer que le Vieux-Spa n’est certes pas le quartier le plus aisé matériellement, mais que la culture populaire qui trouve ses fondements dans le travail, la solidarité, la joie de vivre est une vraie richesse.
(D’après un texte de Lucien Lamby)
Photo HP