Vendredi 10 mai 1940, vers 4 heures, les troupes allemandes franchissent la frontière belge. Tous les mobilisés reçoivent l’ordre de rejoindre leur centre de regroupement. Vers 5 heures, l’armée belge fait sauter les principaux ponts de la région. Vers 7 heures, la radio annonce la nouvelle : « Les Allemands sont entrés en Belgique ». Des escadrilles d’avions ennemis vrombissent au-dessus de nos villages se dirigeant vers le centre du pays. De nombreux habitants fuient en auto, en vélo ou à pied car ils ne veulent pas subir les mêmes souffrances que pendant la Première Guerre mondiale ; les routes sont encombrées par des milliers de gens. A 12 heures, le bruit se répand comme une trainée de poudre : « Les Allemands sont à Malchamps » ! Mais la journée se passe sans confirmation.
Samedi 11 mai 1940, vers 7 heures 30’, les premiers Allemands passent à Nivezé en venant de Stavelot, en draisine découverte, par la voie ferrée. Ils font des signes aux rares spectateurs stupéfaits. Vers 8 heures, quelques véhicules militaires entrent dans la cité thermale par la rue de Barisart et d’autres descendent la rue de la Sauvenière. Le gros des troupes cependant contourne la ville par la Grande Vecquée, via Bronromme et Vertbuisson, afin d’éviter les tirs du fort de Tancrémont. Sur l’aérodrome de la Sauvenière atterrissent quelques avions. Ils se rangent en bordure du terrain, les queues cachées dans les sapins environnants et les ailes soigneusement camouflées. Par ordre de l’autorité militaire allemande, la circulation est formellement interdite de 18 heures à 7 heures du matin ; du coucher au lever du soleil, aucune lumière ne peut être visible de l’extérieur.
Dimanche 12 mai 1940, des troupes motorisées allemandes sont bloquées à Vertbuisson suite à la précision des tirs du fort de Tancrémont. Le périmètre de tir du fort couvre l’espace compris entre le village de Creppe et le hameau de Sadoz dans la vallée de l’Amblève. C’est le 29 mai, le lendemain de la capitulation de l’armée belge, que les occupants du fort de Tanctrémont se rendent. Durant ces deux semaines, les soldats allemands bloqués sur les hauteurs reidoises pillent les maisons vides et volent du bétail dans les fermes des hameaux voisins, notamment chez Marcel Ansay, Louis Chalsèche, Léopold Compère, Armand Evrard, Victor Gernay, Emile Houssa, Jules Ledoyen, Hubert Marin et Jean Monville à Winamplanche, chez Joseph Archambeau à Bronromme, chez Marcel Baronheid, Jean Closset, Henri Legrand, Urbain Lepièce, Gilles Louis et Nicolas Schmitz à Desnié, chez Joseph Baronheid, Victor Evrard et Jules Starck à Fagne Marron, chez Gaston Helman et Joseph Peerboom à Vertbuisson.
Lundi 13 mai 1940, lundi de Pentecôte, les Allemands se montrent d’une amabilité insoupçonnable. Quelle ne fut pas la surprise du secrétaire communal spadois Henri Jehin d’entendre un feldwebel conter la soirée de la veille à Nivezé. Un groupe de soldats avaient passé la nuit à boire les 300 bouteilles de vin que contenait la cave d’une villa. L’officier déposa la somme de 300 marks sur le bureau afin de réparer le dommage causé.Lundi 20 mai 1940, l’armée allemande a atteint la Manche. La guerre semble déjà jouée ! De nombreux habitants reviennent après ces quelques jours de fuite ; d’autres après quelques semaines, ils avaient atteint le centre de la France ou même la frontière espagnole. Certains, parmi lesquels se trouve le Nivezétois Julien Delvoye, reviendront après la libération ; ils avaient gagné l’Angleterre. D’autres, comme Maurice Goffin de Winamplanche seront formés au sabotage Outre-Manche et effectueront des missions une fois parachutés sur le Continent.
Samedi 27 juillet 1940, la cérémonie annuelle de la proclamation des résultats de fin d’année scolaire aux élèves des écoles communales se déroule dans la grande salle du Casino. Cette année, les écoles de Creppe et de Nivezé assistent également à la cérémonie. En raison des circonstances, les récompenses en livres sont supprimées. Le conseiller nivezétois Charles Counet assiste à la cérémonie.
Mercredi 14 août 1940, à partir de ce jour, l’accès des forêts est interdit de 18 heures à 8 heures du matin.
Jeudi 3 octobre 1940, un incident se produit à Nivezé. Deux soldats allemands ivres font du tapage nocturne et cherchent noise à un habitant du village en prétextant que l’occultation de sa maison est insuffisante. De petite taille, le Nivezétois est néanmoins connu pour être doté d’une force musculaire peu commune et les soldats teutons n’en mènent pas large, d’autant plus que la boisson leur a enlevé tous moyens. Le villageois leur infligea une raclée phénoménale et les laissa sur le chemin.
Jeudi 10 octobre 1940, l’avion italien tombé à Desnié, dans la fagne du Vieux Passay, le mardi 24 septembre, traverse la ville de Spa sur un tank avançant au pas d’homme vers l’aérodrome de la Sauvenière. Des mécaniciens italiens sont arrivés spécialement pour le réparer.
Lundi 14 octobre 1940, une décision de l’autorité occupante ordonne à l’Administration communale qu’avant le vendredi 18 octobre (date anniversaire du décès d’Amédée Hesse, fusillé par les Allemands en 1915), les appliques blessantes pour les sentiments allemands soient enlevées du monument, situé au bord du lac de Warfaaz, élevé à la mémoire du héros spadois.
Début décembre 1940, le manque de pommes de terre se fait sentir. A pied, en train, en vélo, des citadins partent pour de longues randonnées à la conquête des villages environnants. Beaucoup s’avancent même jusque dans la province de Luxembourg ; après deux ou trois jours, chacun s’en revient avec quelques kilos des précieux tubercules et quelquefois un peu de froment. Parfois, sur les routes, dans les trains, ils sont rançonnés ou dépouillés. Il est important de signaler que si des personnes se sont enrichies en profitant de la situation, dans les villages spadois, beaucoup d’agriculteurs joueront le jeu de la solidarité et fourniront très souvent le produit de leur exploitation à des prix plus que corrects. Pour preuve cette lettre de reconnaissance concernant Monsieur et Madame Albert Dohogne-Depouhon, agriculteur à Creppe, signée par de nombreuses personnes (voir page suivante)Mardi 15 avril 1941, le surlendemain de Pâques, les Nivezétois ont pu admirer tout à loisir trois avions britanniques qui survolaient le village à basse altitude. Ils ont pu en distinguer toutes les caractéristiques et faire signe aux aviateurs anglais en agitant énergiquement leurs mouchoirs.
Début juillet 1941, manquant de métaux, les Allemands procèdent au recensement des cloches de nos églises. A Spa, elles seront enlevées le mardi 22 décembre 1943 et à Desnié le mercredi 24 mai 1944.
Mercredi 29 octobre 1941, la distribution de charbon vient d’être réglementée. Chacun doit choisir son fournisseur et reçoit 150 à 200 kg mensuellement. Une carte de charbon est créée et remise aux chefs de ménage. Le travail administratif est accompli par le Corps enseignant des écoles communales.
En novembre 1941, les Allemands font enlever tous les objets en cuivre dans les établissements communaux. Les poignées de portes, de fenêtres, le matériel didactique disparaissent des écoles.
Vendredi 1er mai 1942, la nuit, à Nivezé, le colonel retraité Overleaux et son amie Mme Vve Beckers sont tués, en leur demeure avenue Jean-Baptiste Romain, par un inconnu. Tous les pro-allemands de Spa reçurent une lettre les menaçant du même sort que le colonel.
Mercredi 16 septembre 1942, à Marteau, vers 19 heures 30, le conseiller provincial rexiste Marcel Rondoz est abattu à coups de révolver par le résistant Eugène Gridelet. Ce dernier est arrêté par les Allemands à Chênée le 2 décembre 1942 et est fusillé à la citadelle de Liège le 19 février 1943.
Dès octobre 1942, les Allemands décrètent le service du travail obligatoire.
Lundi 16 novembre 1942, un combat d’avions a lieu au-dessus du bois de Plein-Fays. L’avion allemand est abattu et s’écrase dans le bois susmentionné. Les Allemands réquisitionnent des habitants de Creppe pour ramener les débris jusqu’à Spa.
Vendredi 27 novembre 1942, à Préfayhai, un jeune rexiste est poignardé mortellement. Dans la région, ces sympathisants de l’occupant disparaissent à un rythme accéléré et on s’attend à l’arrestation d’otages.
Au printemps 1943, la grande boucle nord de l’ancien hippodrome de la Sauvenière est à la demande des Allemands labourée et mise en culture par la société limbourgeoise « ALMO ». Cette société y sema de l’avoine qu’elle moissonna fin de l’été. En 1944, c’est l’entièreté de la plaine qui est labourée. Une partie des ouvriers venait de Campine et l’autre était composée de requis par la « Werbestelle ». Cette année-là, des milliers de choux et plusieurs hectares de pommes de terre sont plantés. Le reste du terrain est semé d’avoine. Après le débarquement, les ouvriers désertèrent les uns après les autres, si bien qu’à la libération, l’Administration communale prit possession du « potager ».
Vendredi 31 mars 1944, dans la soirée, un avion de la R.A.F., en flammes, survole Creppe. L’équipage saute en parachutes et l’avion s’écrase aux abords de la plaine de manœuvres non loin de Winamplanche. Le lendemain, le Creppelains Hubert Pottier est surpris à récupérer des débris de l’épave. Il est arrêté et déporté en Allemagne ; il ne reviendra qu’après la libération.
Jeudi 8 juin 1944, deux jours après le débarquement, les Allemands ordonnent à la Ville de Spa d’organiser la garde de tous les ponts de la ligne de chemin de fer sur le territoire communal (Marteau, Abattoir-Providence, Passerelle, Sauvenière, Préfayhai, Nivezé).
Dimanche 10 septembre 1944, vers 6 heures du matin, de fortes explosions se font entendre. Les Allemands viennent de faire sauter deux ponts à Marteau. Très vite, le bruit court que les libérateurs sont près de Spa. C’est en fin de matinée, vers 11 heures, que la première colonne blindée américaines entre dans la cité bobeline. C’est du délire, la foule est très vite présente et en peu de temps des drapeaux flottent à toutes les fenêtres. Les villages de Winamplanche, Creppe et Nivezé sont eux aussi en liesse. Comme les Spadois, les villageois installent des drapeaux aux fenêtres puis décident de gagner la cité thermale pour fêter les libérateurs. Mais pendant que tous font la fête, une tragédie a lieu à Winamplanche. Une unité de soldats SS battant en retraite arrive à l’improviste et à la vue des drapeaux qui flottaient aux façades des maisons, entre dans une fureur terrible, met le feu au village, prend des otages et tue lâchement des habitants. A Bronromme, des combats font rage toute la journée, ils opposent la Résistance à des troupes allemandes. Les Teutons quittent le hameau en incendiant la ferme Langen. Ils font la même chose à Desnié où ils abattent également des civils avant de quitter les lieux. A Creppe, le village peut remercier René Delierneux, qui au courant de la tragédie winamplanchoise, fait retirer les drapeaux garnissant les maisons. Quelques minutes plus tard, des Allemands arrivent, fouillent le village puis le quittent en mettant le feu à la ferme d’Alphonse Delierneux.
Dès la mi-septembre 1944, des unités américaines commencent à s’installer à Spa et dans les environs. Nombre de vastes maisons sont réquisitionnées, même dans nos villages. Les villageois reçoivent les libérateurs à bras ouverts. Les Américains sont invités dans toutes les maisons. Souvent les habitants manquaient de tout, mais les « boys » apportèrent leurs provisions et partagèrent sans compter. Ils nous firent découvrir le chewing-gum, le coca-cola, le nescafé et bien d’autres choses encore. Ils restèrent dans nos villages jusqu’au début de l’Offensive Von Rundstedt.
Du samedi 21 octobre 1944 jusqu’au mercredi 31 janvier 1945, les V1, des bombes volantes, lancées depuis l’Eifel en Allemagne, survoleront notre région. Les villes d’Anvers et de Liège étaient leurs cibles. Certains de ces sinistres robots tomberont en panne de carburant et s’écraseront dans nos hameaux : à Winamplanche, près de la croix Marin, la nuit du 7 au 8 novembre ; entre Creppe et Mambaye, en décembre ; à Nivezé, chemin du Soyeureux, le 9 janvier 1945 et près de l’église le 10 janvier 1945
Jeudi 2 novembre 1944, un avion anglais en difficulté survole Creppe. L’équipage saute et l’avion s’écrase au « Vieux Pré » sur les hauteurs de Marteau. Malheureusement, le parachute du pilote n’a pas le temps de s’ouvrir et l’aviateur percute le sol non loin de la carcasse de son avion.
Jeudi 14 décembre 1944, trois soldats allemands portant l’uniforme américain sont arrêtés à Nivezé. Le même jour, une jeep, pilotée par ces faux Américains, se serait présentée au Manoir de Lébioles. Tous ces soldats font partie de la brigade spéciale du colonel Otto Skorzeny, larguée dans la région pour : saboter, déstabiliser, espionner et s’emparer d’éventuels dépôts d’essence.
Dimanche 17 décembre 1944, le lendemain du début de l’Offensive Von Rundstedt, le couvre-feu de 18 heures à 7 heures du matin est rétabli par les Autorités. Les villageois prennent peur à nouveau. Des rumeurs inquiétantes annoncent le retour des Allemands. Pour certains, ce fut un nouvel exode. Presque tous s’arrêteront à Liège en attendant des nouvelles rassurantes.
Les lundi 18 et mardi 19 décembre 1944, le dépôt d’essence de la Géronstère, installé par les Américains à la mi-octobre 1944, contenant plus de 7 millions de litres, est évacué par des dizaines de camions roulant presque pare-chocs contre pare-chocs. Ils montaient à vide la route de la Géronstère, et redescendaient chargés via le village de Creppe.
Dimanche 25 février 1945, un bombardier américain, de retour d’une mission en Allemagne, s’écrase sur la maison de Marie Delierneux épouse Muller et répand ses débris dans le jardin de la ferme Dohogne. L’équipage a le temps de quitter l’appareil, mais la propriétaire des lieux a les jambes brisées. Quelques jours plus tard, deux jeunes villageois (Alphonse Defays et Jean Piette) se blessent en jouant avec des munitions trouvées dans l’épave.Mardi 8 mai 1945, l’Allemagne capitule officiellement. C’est la fête dans les villages, on y danse sur les rythmes des musiques américaines. Peu à peu, les prisonniers reviennent. Hélas, dans chacun de nos trois villages, la guerre a fait plusieurs victimes. A Winamplanche : Louis Goffin, Emile Goffin, Pierre Beckers, Jean Beckers et Armand Xhrouet. A Creppe : Lucien Dubois et Jules Renard. A Nivezé : Emile Gillet et Georges Huls.
Samedi 21 juillet 1945, le jour de la fête nationale, à Nivezé, une fête est organisée dans la salle l’Aurore en l’honneur des prisonniers, des déportés et des réfractaires. Prisonniers : Henri Pironet, Emile Maréchal, Jules Gerlaxhe, Jean Servais, André Jérôme, Charles Parmentier, Jean Jérôme, Henri Tefnin, Léon Jérôme et Raymond Charlier. Réfractaires : Jules Hansoulle, Joseph Dambourg, René Beaupain, René Maas et Julien Delvoye. Déporté : Léon Paquay.
Dimanche 5 août 1945, lors de la kermesse, le village de Winamplanche organise également, dans la salle Lambertz, une fête en l’honneur des prisonniers et des réfractaires. Prisonniers : Fernand Compère, Edouard Hutsemekers, Jules compère, Léon Gernay, Marcel Gernay, Albert Hutsemekers, Ernest Piette, Emile Ledoyen, Georges Monville, Armand Defossez, … Ducombe et … Pirson. Réfractaires : Maurice Goffin et Joseph Ledoyen.Dimanche 30 septembre 1945, le hameau de Creppe fête à son tour le retour de ses prisonniers et de ses déportés. Le matin, après la grand-messe solennelle, les assistants se rendirent au cimetière où l’instituteur Gilbert Courbe prononça une allocution patriotique. L’après-midi, la cérémonie fut présidée par le Bourgmestre de Spa. En soirée, un grand bal eut lieu dans la salle Briscot. Prisonniers : Désiré Brédo, Joseph Wagner, Jules Wuidar, Yvan Bourguet, Georges Delierneux, Frans Monville, Gilbert Bourguet, Raymond Delierneux et Ernest Lemaire. Déportés : Fernand Delierneux, Hubert Pottier et Yvan Pottier. Réfractaires : René Legrand, Ivan Peiffer, Alphonse Peiffer, François Fassin, Henri Hurlet, Mathieu Hurlet, Robert Demaret, André Demaret, Eugène Monville, Victor Hans, Narcisse Chevron, José Chevron, Georges Pottier, René Noel, Joseph Fryns, Abel Depouhon.
Jean Lecampinaire
Sources :
Il y a 25 ans – Recueil de coupures de presse (Georges Spailier)
Dictionnaire de l’ex-commune de La Reid (Jean-Luc Seret – 2011)
Creppe sur la voie du temps passé (Pierre Gendarme – James Lohest – 1989)
Drames de la vie quotidienne à La Reid en mai 1940 (Jean-Luc Seret – 2010)
L’histoire et la vie de Winamplanche et Marteau … (Camille Massart – 1988)
La petite histoire du village de Nivezé (André Hans – 2011)
Messieurs Jacquy Dohogne, Paul Gernay, Raymond Goffin et Arthur Maas.
Très très intéressant. Merci i