Cense : dérivé du bas-latin « censa », signifiant fermage, devenu ensuite le nom de la ferme même. Le mot se prononce « cinse ». Au Moyen Âge, terre soumise au cens ; le censier était locataire (des terres, d’un moulin, d’un four, …) et payait une redevance au seigneur. Le cens, considéré comme un droit féodal, fut supprimé par la Révolution. En Belgique romane et dans certaines régions françaises, cense signifie ferme ou métairie. Parfois, le mot « cense » évoque juste une ferme en carré.
Depuis quand cette cense existait-elle, qui en était propriétaire et quand a-t-elle cessé d’être en activité ?
Cette cense figure également à l’arrière plan d’une des gravures illustrant les « Amusemens des Eaux de Spa », paru en 1734. Cette gravure représente la fontaine du Tonnelet abritée sous une niche carrée qui paraît avoir été antérieurement assez jolie mais qui ne montre plus que des ruines. En 1760, à Nivezé, il y avait 15 maisons.
Sur les deux gravures, on remarque que la cense possédait un mur d’enceinte (des fortifications ?) muni d’une porte cochère.
Il faut savoir que vers le milieu du 17e siècle et sur ordre du Prince-Evêque de Liège, le bourg de Spa, comme d’autres localités de la principauté, érigea des remparts en dur car le Marquisat de Franchimont et le pays tout entier était à cette époque sans cesse parcouru par des troupes étrangères qui dévastaient tout sur leur passage et se livraient au pillage. En même temps, les fermes et métairies isolées furent également mises en état de résister aux attaques des maraudeurs (Cense de Berinzenne, Cense de Vert-Fontaine, Cense du Haut-Marais, …). La plupart de ces fortifications furent démantelées fin du 18e siècle.
Sur la carte Ferraris de 1777, premier document à grande échelle permettant d’apprécier l’impact de l’agriculture, cette cense est représentée ; mais, contrairement à celles, citées ci-dessus, elle n’est pas dénommée et le mur d’enceinte représenté sur les deux gravures n’apparaît pas, peut-être n’existait-il déjà plus à cette date ? Le hameau de « Nivesée » comptait alors une vingtaine de maisons.
La lecture de l’Atlas des voiries vicinales de 1841, nous donne plusieurs informations :
– la présence de l’indication « Cense de Stoquai », au niveau des maisons actuelles de l’avenue Jean-Baptiste Romain, numérotées : 1, 3, 5, 7, 6, 8, 10, 12 et situées non loin du Tonnelet.
La cense aurait pris le nom d’un ancien lieu-dit « lu stokè », proche du Tonnelet. Le stockai, nom attribué en 1675, selon Albin Body, aux prairies sises au sud-est de l’exploitation agricole dont il est question. Diminutif de stok, petite souche. Fin du 19e siècle, sur les actes notariés, le lieu-dit relatif à ces prairies s’orthographiait «Stoquai ».
– le chemin reliant les sources du Tonnelet et de la Sauvenière passe dans la cour intérieure de la cense ! Ce chemin, dont la création avait déjà été prévue sous l’Empire français, fut réalisé entre juin 1816 et juillet 1817.
– le morcellement des bâtiments de la cense.
Ces deux dernières constatations apparaissent plus clairement sur le plan Popp de 1860. Sur ce plan, on constate mieux le morcellement des bâtiments de la cense. Le recensement de 1837 établissait l’existence de 32 maisons pour le hameau nivezétois.
Sur le recensement communal de 1890, on remarque que plusieurs bâtiments ayant fait partie de la « Cense de Stoquai » étaient la propriété des héritiers d’Edmond Joseph Adolphe Simonis (voir l’article intitulé : Les châteaux Peltzer de Nivezé).
On peut donc affirmer que c’est la présence, à cet endroit, aux 17 et 18e siècles, peut-être même antérieurement, de cette exploitation agricole dénommée « La Cense de Stoquai », qui est à l’origine du lieu –dit « La Cense » à Nivezé.
En 1971, dans son mémoire de licence intitulé « Toponymie de Spa », Jules Antoine écrit ceci à propos du lieu-dit « La Cense ».
La Cense : al cinse, à la ferme (èl blanke cinse). Quatre ou cinq maisons des deux côtés de la route de Préfayhay à Nivezé ; jadis, ces maisons étaient reliées par un pavement qui a été enlevé par la suite. Cadastre : « Al cinse à Nivezée ».
De nos jours, le pignon à colombage figurant sur les deux gravures semble toujours exister, mais probablement pas dans sa réalisation d’origine. C’est le pignon nord du bâtiment numéroté 1 avenue Jean-Baptiste Romain.
Jusqu’au début du 19e siècle, les murs des maisons rurales étaient construits en bois, les colombages étaient remplis de torchis composé de terre glaise et de paille, les toitures étaient réalisées en chaume, le tout était construit sur soubassement en pierres. Mais ces matériaux faisaient souvent la part belle7 au feu ; le 10 septembre 1777, un incendie détruisit 5 maisons à Nivezé, c’était +/- 25% du hameau. Dans notre région, c’est à partir du 19e siècle que la brique remplaça le torchis dans les colombages (voir l’article intitulé : Les vieilles fermes nivezétoises).
Jean Lecampinaire
Sources :
Spa – Histoire et Bibliographie (Albin Body – 1892)
Sources minérales et fontaines de Spa (Comité culturel de Spa – 1991)
Toponymie de Spa (J. Antoine – 1971)
Monographie géographique – La commune de Spa (Francis Cerfontaine – 1994)
La petite histoire du village de Nivezé (A. Hans – 2011)
La maison rurale traditionnelle de la région de Spa (J. Laurent – 1991)