La fagne de Malchamps

Mercredi 13 octobre 2010, le Centre Culturel de Spa recevait quatre spécialistes pour faire le point sur la fagne de Malchamps, son intérêt, son histoire, son avenir.
bergerie
Pascal Ghiette (station scientifique du Mont-Rigi) montra combien la fagne représente un écosystème extraordinaire, unique en Europe, avec ses lithalses (autrefois on les nommait des palses ou pingos). Il s’agit de dépressions d’origine naturelle remplies d’eau et de sphaignes. Elles se sont formées à la dernière glaciation (11.600 ans). On trouve plus de 200 lithalses dans la fagne de Malchamps.

Christian Guilleaume (défenseur de la nature) insiste sur la richesse botanique de ce milieu semi-naturel qui a été modelé au fil des siècles par les habitants. En effet, la fagne s’est développée dans son état actuel à la suite de l’intervention des hommes qui y menaient paître les animaux, pratiquaient l’essartage et l’écobuage. Cette technique agricole consistait à brûler des mottes d’herbes que l’on avait préalablement arrachées, remplies de végétaux dont les cendres constituaient un engrais qui permettait d’obtenir une bonne récolte de seigle. Cette pratique a permis de donner naissance à la lande au détriment de la forêt. Ch. Guilleaume regrette que la fagne de Malchamps n’ait pas été reprise dans la réserve naturelle des Hautes Fagnes.

Pour Pascal Jobe (Spa Monopole), la fagne de Malchamps, en tant que zone humide, est à l’origine du parcours des eaux de Spa. Elle est au début du cycle qui se terminera par l’embouteillage des eaux. Il est donc primordial que des mesures de protection soient prises afin d’éviter toute apparition de pollutions.

Pour Annick Pironet (Musée de la forêt), la fagne de Malchamps est belle, intime. Sur un petit espace, elle permet de découvrir toutes les caractéristiques des fagnes. Elle est accessible à tous et nous (le musée) pouvons faire découvrir ses richesses à un large public.

Un débat très intéressant a permis de cerner les diverses questions relatives à l’avenir de la fagne et à sa gestion.

La fagne a-t-elle failli disparaître ?

Avant le 19e siècle, les fagnes étaient beaucoup plus étendues qu’actuellement. Elles dominaient tout le plateau ardennais. Vers 1850, les fagnes sont considérées comme des incultes et les communes (dont Spa) Spa sont invitées à les reboiser. Dans le rapport communal de 1866, on peut lire que les essais de reboisement à Spa autorisés par arrêté royal du 12 avril 1856, n’ont produit aucun résultat. L’utilisation de graines et de la technique d’essartage n’ont pas été efficaces. Aussi, une coupe extraordinaire de bois a été effectuée pour payer l’achat et la plantation de 124.151 épicéas de 2,4 et 7 ans, 116.530 mélèzes de 2 à 4 ans, 3750 hêtres, aulnes et sorbiers et 21.500 chênes de 4 à 6 ans. Un total de 265.931 arbres ont été plantés le long de la route de Spa à Malmedy sur 40 mètres de chaque côté de la route à partir de l’ancien chemin de l’hippodrome, le long de la Vecquée, sur une bordure de 50 mètres de largeur. « En lieu dit les Arsins, à partir du chemin de la Géronstère vers la ferme de Bérensenne 230.000 mélèzes et épicéas ont été plantés. 5300 mètres de fossés ont été creusés dans les parties boisées. »

Paysage de la fagne ; la linaigrette au bord de la mardelle (lithalse)

Paysage de la fagne ; la linaigrette au bord de la mardelle (lithalse)


Cette politique de reboisement avec des conifères et de drainage de la fagne fera l’objet de nombreux travaux qui, comme le montre le rapport communal de 1891, ne permettront pas d’obtenir les résultats escomptés. Le reboisement se développera jusque dans les années 1960.

Sous la pression des défenseurs de la nature et notamment du GDNTS créé en 1969, une prise de conscience s’effectue. Spa-Monopole, en 1968, achète la ferme, la cède à la Division Nature et Forêt (Région Wallonne) et conclut avec cette dernière un plan de gestion dont l’objectif est de reboucher les drains, couper les résineux (passer de 65% de résineux à 45%), éviter toute forme de pollution. L’objectif a été atteint, précisera M. Jobe (Spa-Monopole). Christian Guilleaume ajoutera que les incendies, qui ont sévi à Malchamps, ont permis d’éliminer pas mal de conifères de la fagne.

Promenez-vous dans la fagne tant que le touriste n’y est pas !

Le désir des responsables de la gestion de la fagne (DNF) de permettre à un maximum de personnes de découvrir les paysages fagnards n’entraîne-il pas des menaces pour la flore et la faune (piétinement de certaines zones sensibles, cueillette commerciale, enlèvement de plantes carnivores, passage de VTT, pratique du ski, chiens non tenus en laisse, etc) ? La création des caillebotis n’a-t-elle pas permis un afflux de touristes qui perturbent la quiétude du lieu. ?

Les divers orateurs sont conscients de la pression qu’exercent les touristes sur les lieux. Une réglementation empêche de skier, de laisser le chien en liberté. Pour certains, les caillebotis permettent de canaliser le public sur les parties extérieures de la fagne (on ne traverse plus la fagne en son centre) et évitent l’augmentation des zones de piétinement des sentiers. Ils sont cependant coûteux, demandent beaucoup de travail pour être entretenus et empêchent le contact avec le sol fagnard. Madame Pironet verrait d’un bon œil la limitation des caillebotis sur les chemins de la fagne.

En conclusion, comme le disait un orateur, si vous souhaitez jouir de la sérénité qu’offre le paysage fagnard, il vous est conseillé de vous y rendre en dehors des périodes touristiques (heureux pensionnés !!!).

La fagne et l’aérodrome de Spa la Sauvenière

Le sujet est d’actualité. Tout en reconnaissant que l’aérodrome a « toujours été » là, les orateurs constatent que le survol de la fagne par les avions est une source de pollution sonore très importante et en contradiction avec la fonction que l’on souhaite donner à la fagne. De plus, les risques de pollution par les hydrocarbures en cas d’accident ne sont pas négligeables. Dans l’avenir, il serait possible que la fagne de Malchamps ne soit plus survolée par les avions mais dans ce cas, cela signifie qu’ils devront voler au-dessus d’un autre territoire. Cela génèrera donc des nuisances pour des habitants au-dessus de Spa ou ailleurs. L’agrandissement de la piste côté fagne ne sera pas accepté. Une réglementation très stricte est suivie de près. Ainsi, les fauchages de la piste côté droit de la route en montant seront pour la saison prochaine organisé selon un plan très précis afin notamment de permettre le développement de plantes rares telles l’arnica ou l’orchis.

La fagne s’assèche-t-elle ?

Plusieurs personnes ont constaté que la fagne, sans prendre en considération des périodes très sèches comme en ce mois de juillet, semble devenir de plus en plus sèche. Elles se basent notamment sur le fait que des mardelles (lithalses) manquent d’eau, que les fougères se développent fortement et que des plantes typiques des landes sèches semblent progresser. La question sensible est posée de savoir si l’on constate une modification de l’écosystème de la fagne à la suite des pompages d’eau de Spa-Monopole.

Le représentant de la firme explique que le rebouchage des drains, la coupe des résineux et des arbres qui sont de grands consommateurs d’eau sont des mesures qui ont augmenté l’humidité des sols de la fagne de Malchamps. La partie de l’eau qui est prélevée par les captages est infime (1/20 de la capacité totale des réserves) et le niveau de la nappe aquifère est surveillé. Il n’est pas prélevé plus que ce que peut fournir le système hydrominéral, c’est-à-dire la recharge naturelle. Il insiste sur le fait que les impressions sont souvent trompeuses et que les études scientifiques confirment cette absence d’influence des captages sur un assèchement éventuel de la fagne.

Il faut aussi prendre en considération le fait que les lithalses sont des milieux qui évoluent naturellement. Il est difficile de dire, précise M.Ghiette, si le réchauffement climatique peut avoir une influence sur un éventuel assèchement de la fagne. Une telle influence ne peut se lire qu’avec le recul de plusieurs décennies, même s’il semble assez clair que la diminution (l’absence à Malchamps) du coq de bruyère trouve son origine dans le réchauffement du climat et plus particulièrement l’absence de précipitations de neige.

Un entretien permanent

Sans l’intervention humaine, on peut estimer que la fagne redeviendrait une forêt naturelle en l’espace d’une centaine d’années. C’est en effet les travaux agricoles et le pâturage des animaux qui ont créé la fagne. Afin de lui garder ses caractéristiques, vous avez pu constater que des arbres (bouleaux, conifères) sont coupés régulièrement.

Sur le plateau des Hautes Fagnes, les gestionnaires de la réserve naturelle ont choisi de se tourner vers la gestion ancienne, traditionnelle et naturelle : la création et la remise en fonction d’un troupeau de moutons qui, sous la conduite d’un berger, assure l’entretien d’une partie de la fagne. Cette solution ne peut être envisagée à Malchamps à cause du risque de pollution des eaux par les déchets des animaux.

Quel avenir ?

On peut dire qu’actuellement la fagne « a la cote », à la fois pour ses valeurs esthétique, touristique, biologique et économique. L’objectif dans les prochaines années sera d’étendre sa présence sur les reliefs spadois. Les conifères sont appelés à disparaître de notre paysage et l’on pourrait voir la fagne de Malchamps s’étendre jusqu’à la fagne James.

Pol Jehin


Le berger de la fagne de Malchamps (Extraits de l’article de Léon Marquet Le berger de la fagne Réalités juin 1989)

Dans chaque village, i1 y avait jusque vers la fin du XIXe s. un troupeau commun confié à la garde du berger que les ménages devaient entretenir un certain nombre de jours par année, nombre proportionné à celui des moutons appartenant à chaque ménage. A partir d’avril et jusqu’à la Toussaint, le troupeau était conduit en
fagne. En automne, les troupeaux se réduisaient beaucoup car on se défaisait des vieilles brebis et des jeunes béliers. Un document d’archives indique qu’en juin 1706, le berger du vieux Spa Laurent Jean Laurent fut tué par la foudre sur la Fagne  » au pasaz (w : pazê=sentier) de Chevrouheid  » c’est-à-dire dans la fagne de Malchamps.

Au XIXe siècle, une bergerie la  » stâve Lezaak  » fut construite au-delà du bois des Minières. M. Martiny écrit à ce sujet que le plan cadastral de 1834 indique au lieu-dit  » dessous Quaquette  » un bâtiment rural appartenant à F.Lezaak, cultivateur à Spa. La parcelle où s’érigeait cette construction mesurait approximativement 25m de long sur 15m de largeur. M. Martiny en a découvert les vestiges en contrebas du versant, non loin du coupe-feu du tir où l’on voit quelques amoncellements de pierres recouvertes de mousses et de lichens jonchant le sol avec aux alentours des aubépines et quelques pommiers sauvages attestant peut-être de l’existence dans le passé d’un enclos pour un troupeau de moutons. On ne retrouve pas de traces de fossés avec les terres rejetées en talus vers l’extérieur, mais le site a été perturbé au moment de l’aménagement du champ de tir et lors du creusement des fossés de drainage. De plus, les aubépines ont subi le passage d’incendies.

Voici ce que H. George écrit en 1934 au sujet du berger de Spa et de son abri en fagne :  » Dès avril-mai, il conduisait en fagne les animaux confiés à ses soins, et portant sur le dos, noire, rouge ou bleue, la marque du propriétaire, le brave herdier s’installait dans sa solitude. L’étable du berger se composait d’un vaste abri pour la herde, quand les orages de juin se déchaînaient ou que les rafales d’automne balayaient la fagne. A côté se dressait un petit corps de logis où un sac de fougères et une couverture de laine servaient de couchette pour la nuit. Le solitaire se nourrissait de pommes de terre cuites sous la cendre, du pain noir dont les fermiers remplissaient sa besace et d’une tranche de lard grillé. Airelles et myrtilles, quand la saison était là, complétaient cet ordinaire plus que frugal. Dès que novembre semait ses premiers flocons sur les hauteurs de Malchamps, le berger ramenait ses ouailles que les propriétaires venaient reconnaître et trier à l’entrée du hameau.  »

Ph. Martiny. La fagne de Malchamps (1988)
Henri George. Folklore spadois. Vie et mœurs d’autrefois. Ed. J’Ose, Spa, 1935 p. 22

« Le pharmacien Leboutte, à la barbe légendaire et qui devint ermite de la fagne dans ses vieux jours, avait bien connu dans son jeune temps, le dernier berger; c’était, disait-il,  » le vieux Lambrette « , qui y passa de nombreux étés, seul, avec ses 300 à 400 moutons. (Monique Caro février 1995)

Pour en savoir plus

Christian Guilleaume : La fagne de Malchamps Réalités n° 75
Promenade pédestre en fagne de Malchamps : livret-guide Ph. Martiny 1999


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