La fontaine aux yeux

Si, parmi les sources de Spa, on connaît un « pouhon des vers », ainsi appelé sans doute parce que l’eau ferrugineuse possède des vertus vermifuges, on y trouve aussi une « fontaine aux yeux ». Cette source, qui n’est pas un pouhon, jaillit au côté gauche et à mi-chemin de la route menant au cimetière de Spa, dont les tombes s’alignent au flanc de la montagne de Spaloumont.

Cette source est signalée en 1872 par Albin Body dans son petit livre sur les Promenades de Spa.

Voici ce qu’il écrit :

La Promenade de Reickem (pp. 22-23).

« Dans ce petit vallon, et à gauche, une fontaine d’eau douce qui se déverse dans une vasque de pierre. Cette source cristalline passe pour avoir des vertus étonnantes contre les affections de la vue, et l’on croit généralement que c’est à la barégine qu’elle contient que sont dues les cures obtenues ».

La barégine est une substance organique azotée que l’on trouve dans les eaux thermales, particulièrement dans les eaux de Barèges (Hautes-Pyrénées).

Cette fontaine a fait l’objet d’une notice publiée dans une petite brochures et qui est due au docteur Edmond Delneuville, né à Pépinster, ophtalmologue, président de la Commission des eaux et des bains, qui dirigea également l’installation à l’Etablissement des Bains des services d’inhalation d’eaux minérales pour le traitement des affections des voies respiratoires supérieures.

Voici le texte de cette étude :

La Fontaine aux Yeux à Spa

La fontaine aux yeux est située sur le chemin qui réunit la rue Hanster à la Promenade Reickem. L’eau qui l’alimente est souterraine dans la plus grande partie de son trajet, sauf en un point de la Fagne Lolo, où elle se rapproche de la surface pour former un étang marécageux ; à partir de ce point, elle redevient souterraine.

Elle jouissait à une époque pas très éloignée de notre histoire, d’une certaine réputation d’efficacité dans la prophylaxie et le traitement des affections oculaires. Des médecins même, dit-on, en recommandaient l’emploi. Cette croyance populaire devait, selon toutes probabilités, tirer son origine de certaines observations de guérison ayant coïncidé avec l’emploi de cette eau ; ces faits mal interprétés ou exagérés par un public incompétent, ont pu donner le vol à cette légende. Des recherches dans la bibliographie spadoise ne nous ont cependant rien fait découvrir qui fit allusion à ces vertus thérapeutiques.

Un certain intérêt de curiosité s’attachait à cette fontaine du fait de cette réputation, non pas qu’on pût espérer y trouver un remède vraiment sérieux ; la thérapeutique n’est hélas ! pas encore arrivée à ce degré de simplicité. Il était à priori certain que cette eau pourrait tout au plus renfermer quelques traces d’un astringent et d’un émollient capables d’améliorer une conjonctivité légère. Mais une analyse sommaire nous a permis de constater qu’aucun élément ne peut revendiquer même cette action. Cette eau est surtout remarquable par sa faible minéralisation : très légèrement alcaline ; elle ne donne évaporée a siccité qu’un résidu de gr 0,03 par litre, dans lequel on constate la présence de chlorure, sulfate et carbonate de calcium. On n’y rencontre pas de fer.

Elle ressemble donc à une bonne eau de source, et son action est indifférente envisagée au point de vue chimique. Au point de vue bactériologique, elle ne doit renfermer que peu de germes ; il serait cependant prudent, si on voulait s’en servir comme boisson, de la soustraire aux infiltrations du voisinage et aux pollutions diverses d’une route assez fréquentée aux bords de laquelle elle aboutit.

Il résulte de ces quelques considérations que l’action de cette eau dans les affections oculaires est tout à fait nulle : elle ne renferme aucun principe actif ; le renfermât-elle même, il y serait trop dilué pour produire le moindre effet. Son succès est donc tout aussi inexplicable que celui de nombreux remèdes familiers qui se partagent les faveurs du public, ou plutôt il s’explique par la confiance en quelque sorte superstitieuse que celui-ci a dans ces remèdes plus ou moins mystérieux.

Fût-il même exempt de danger bien grand, son emploi ne peut ne pas être inoffensif, car il donne une fausse sécurité et l’illusion d’un traitement : le malade, en effet, use souvent de ces remèdes avec une persévérance digne d’une meilleure cause, .et qu’on obtiendrait difficilement de lui pour une thérapeutique rationnelle.

Quoi qu’il en soit, la fontaine aux yeux est aujourd’hui à peu près délaissée ; à part quelques vétérans spadois, tout le monde paraît l’ignorer. La médecine populaire l’a remplacée par l’eau de guimauve, puis plus tard, sous l’influence des idées modernes, par l’acide borique et les autres antiseptiques. On peut dire que l’eau de la fontaine aux yeux était l’acide borique de nos ancêtres. De même que ceux-ci abusaient de la première, de même nos contemporains abusent du second, s’en servant a tort et a travers dans toutes les affections. L’un et l’autre peuvent sans danger être employés comme adjuvant, mais ils sont dénués d’une action thérapeutique vraiment sérieuse.

Dr E. Delneuville, médecin spécialiste


Si, en 1954, le docteur Delneuville déclarait que la « Fontaine aux Yeux » était à peu près délaissée, elle a connu autrefois une certaine vogue. De vieux Spadois nous ont dit qu’en se rendant au cimetière, ils s’y baignaient les yeux en passant ou buvaient de son eau.

La « Fontaine aux Yeux » n’a plus grande allure aujourd’hui, un tuyau de laiton en fait jaillir l’eau dans une vasque de pierre en forme de coquille ; cette eau s’écoule ensuite dans un bassin semi-circulaire fait de pierre de taille moulurée brisé en plusieurs morceaux. L’eau de la source est actuellement non potable. Un peu au-dessus se trouve un bloc rectangulaire où on lit l’inscription « FONTAINE AUX YEUX ».

Ce bloc, de même que la coquille et ce qui reste du bassin, sont les vestiges du monument assez important qu’on voit figurer sur une carte-vue datée de 1912.

La fontaine est encadrée de chaque côté d’un dallage, par deux piliers de pierre de taille surmontés d’un bulbe. L’eau jaillit dans la coquille au centre d’un monument surmonté de deux volutes sculptées, au milieu desquelles se trouve la pierre avec l’inscription en creux « FONTAINE AUX YEUX », dont nous avons parlé. La vasque est surmontée d’une tête de lion sculptée encadrée par une bande d’ornements en relief.

Une dernière carte-vue, datée de 1900 montre qu’antérieurement, les deux piliers de pierre de chaque côté de la fontaine supportaient un petit pavillon rustique au toit pyramidal couvert d’ardoises semblable à ceux qui avaient été construits à Barisart et à d’autres sources. On y lit aussi l’inscription « Fontaine aux yeux » et à côté se trouve un banc.


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