Dans notre premier article sur la Sauvenière (Réalités, n°52 p.16), nous avons reproduit le dessin datant de 1559 où l’on peut voir que cette fontaine, dont la renommée attirait pourtant de nombreux Bobelins étrangers, n’avait à cette époque été l’objet d’aucun aménagement.
En 1612, quand l’Italien Remigio Cantagallina dessina à son tour la Sauvenière, la source avait simplement été entourée d’une balustrade.
Une autre vue de la Sauvenière a été dessinée par Jean Breugel à la même époque. Elle figure dans un cartouche au bas et à gauche d’une grande vue de Spa, gravée par Thaodorus Galle. Cette vue qui a été reproduite plus tard en format réduit dans l’atlas de Merian est visible au Musée de la ville d’eaux. Comme, dans la représentation de la fontaine, dont l’eau coule dans une grande vasque ronde, et qui est entourée d’une balustrade en bois autour de laquelle se pressent les buveurs, servis par une femme qui puise l’eau dans cette vasque, on voit aussi le « pied de saint Remacle », nous en avons donné la reproduction dans notre article consacré à la tradition qui se rattache à cette empreinte et aux rites qui l’accompagnent. (Voir Réalités, n°52, p.24).
Voici ce qu’écrit Pierre Bergeron en 1619 dans son Voyage ès Ardennes, Liège et Pays-Bas : La Sauvenière ou Saviniere a sa source sur une montagne ou costea (côteau) à demi lieue ou environ de Spa et sort des fentes et crevasses d’un rocher penchant. La vase qui la reçoit est naturel et sans artifice quelconque et est bientost espuisé par sa petitesse. Le lieu est désert et affreux encore qu’environné d’arbres parmi les rochers et mesme un peu en dessus; en montant par quelques degrés raboteux, on trouve une petite planurs (esplanade) en forme de salle environnée d’arbres et tapissée d’herbe où la prince de Mantoue (1) avait faict faire une ramée assez spacieuse et bien couverte pour s’y retirer, promener et danser à l’ombre durant les ardeurs du soleil. A costé de cette fontaine il y a une chapelle où l’on se retire pour se chauffer et boire à couvert au moins les dames.Au milieu du XVIIe siècle, plus précisément en 1651 la baron de Groesbeek fit édifier une petite construction pour protéger la source déjà connue jaillissant à quelques pieds de la première. Nous en parlerons plus en détail dans un prochain article. Ce poûhon faillît supplanter celui de la Sauvenière affaibli après la tremblement de terre de 1692, mais des travaux entrepris aussitôt firent retrouver la veine d’eau douce qui fut détournée, ce qui fait que la source reprit ses qualités et qu’on abandonna la Groesbeek pour revenir à l’ancienne.
Une gravure des Amusemens des eaux de Spa de 1734 montre que la source de la Sauvenière, entourée d’un mur rond avec des ouvertures permettant d’y accéder, avait été surmontée d’un édicule de pierre se terminant par un dôme en forme de chapeau conique. Des escaliers construits de part et d’autre de la fontaine de Groesbeek donnent accès, à gauche à une petite terrasse dans le bois, et à droite à la chapelle Salamanque.
Cette chapelle disparaît ensuite et, en 1753, on construit un bâtiment de style Louis XIV avec des chaînons d’angles et des baies à linteaux courbes, ainsi qu’une galerie sur piliers de bois couverte d’ardoises allant de ce bâtiment jusqu’à la source. Celle-ci est abritée par un petit kiosque, à toit pyramidal.
Dans le livre de Jean-Philippe de Limbourg intitulé Les Amusemens de Spa (1782), où l’on voit cette vue l’auteur écrit que la situation de cette fontaine est très agréable, car elle est située au milieu d’une forêt dans laquelle on a aménagé de ravissantes promenades. Il nous apprend que c’est à un gentilhomme anglais nommé Mr Barkeley qu’on est redevable de leur tracé et de leur exécution. outre deux grandes allées, il y en a plusieurs bordées et recouvertes d’un bois touffu « la plupart faites en forme de labyrinthe et conduites la long d’un petit ruisseau dont le murmure et les cascades qu’il forme de distance à autre, aussi bien que la verdure et la fraîcheur du lieu semblent y concentrer tous les agréments champêtres. A ces allées aboutissent des reposoirs et des berceaux où l’on peut se mettre au frais, se délecter par le bruit d’une cascade ou par la gazouillement des oiseaux; certains endroits offrent des points de vue charmants : on y voit dans le lointain des clochers de villages, des forêts et des campagnes, et tout cet assemblage ne laisse pas de présenter une jolie perspective et de très beaux paysages.
La même année, c’est-à-dire en 1782, on lit dans un pamphlet intitulé Tableau de Spa qu’on se rend à la Sauvenière par une chaussée très belle « élevée aux dépens des dupes qui fréquentent les salles de jeux.
Autrefois les croupiers de pharaon se rendaient à cette fontaine avec leur banque sur les épaules, composée de quelques centaines d’escalins et trois ou quatre ducats très rongés, et là, sous une espèce de porche où se promènent encore les buveurs, ils étalaient leurs tapis. Il est vrai que l’auteur appelle Spa un coupe-gorge , où les femmes vont pour être plus libres avec leurs amants ou pour en faire, les fripons dans l’espoir de faire des dupes, les imbéciles pour être détroussés par les banquiers du Pharaon, les entrepreneurs des jeux de creps et de biribi, les hôtes les marchands et la police (soi-disant) qui partage avec eux tous. (2)
On voit par là que la Sauvenière n’était pas seulement fréquentés par des prêtres, moines et religieuses, ce qui l’avait fait surnommer autrefois « la fontaine ecclésiastique ».
Le bâtiment de la Sauvenière fut ensuite agrandi et modifié, notamment en 1841. En 1839, on prolongea le long du ruisseau la promenade menant au monument de la promenade d’Orléans dont l’histoire a été racontée par Albin Body dans son opuscule Les Orléans à Spa.
Cette promenade appelée Promenade du Ravin fut prolongée plus tard jusqu’au Watroz.
On sait que les abords de la source ont été réaménagés en 1980 , ce qui a permis de mettre à jour la véritable « pied de Saint Remacle ».
Aujourd’hui, hélas, la source , si fréquentée autrefois, est pratiquement désertée et ceux qui ne connaissent pas son histoire ne soupçonnent pas la renommée de ce poûhon réputé comme le plus ancien de la région spadoise non plus que le nombre de visiteurs célèbres qui sont venus goûter ses eaux.
Léon Marquet.
(1) Le duc de Mantoue don Vicenze de Gonzague, vint prendre les eaux à Spa en 1599 et y séjourna un mois. il était accompagné de nombreux gentilhommes et de musiciens, parmi lesquels Monteverdi, qui donnèrent des concerts à la Sauvenière et dans la ville.
(2) Sur les jeux, voir la diatribe en vers due à un comte polonais dans A l’âge d’or de spa, p.77-78.