En 1905, la veuve de Louis Emile Orts, née Emilie Van Volxem, originaire de la région bruxelloise, achète un terrain de 65 ares 34 centiares au lieu-dit « è Fagnoû », situé près du ruisseau le Soyeureux à Nivezé. Deux ans plus tard, elle y fait construire une grande villa, de style anglo-normand, qu’elle dénomme « Le Fagnou ».
Comme les 5 châteaux « Peltzer », fin de la 1ère guerre mondiale, au début de l’année 1918, la villa est réquisitionnée pour la venue du Grand Quartier général allemand à Spa. Elle est d’abord occupée par un maréchal de la Cour; puis, fin du mois d’avril, elle sert de résidence au grand-amiral Alfred von Tirpitz venu assister à une importante conférence militaire ; enfin, en été, cette même année, elle héberge le Khédive d’Egypte Abbas Hilmi venu rencontrer Guillaume II qui occupe, près de là, le château du Neubois.
En 1929, au décès de Madame Orts, « Le Fagnou » devient propriété de la famille Peltzer. En effet, trois de ses sept enfants se sont unis à un(e) descendant(e) de cette puissante famille verviétoise. Sa fille aînée, Henriette de Rasse, née d’une précédente union, est l’épouse de René Peltzer, le propriétaire à cette époque du domaine voisin, le Haut-Neubois. Néanmoins, pendant plusieurs années, la villa reste inhabitée et semble, en quelque sorte, abandonnée.
A partir de 1932, à la belle saison, « Le Fagnou » est occupé par Gustave et Nadia Francotte-Peltzer qui habitent le reste de l’année à Liège, avenue du Luxembourg. Monsieur Francotte est amateur de belles automobiles ; certains Nivezétois se souviennent encore de sa Bugatti et de son Alfa Roméo.
Durant la 2ème guerre mondiale, la famille Peltzer libère « Le Fagnou » afin d’y permettre l’organisation d’un camp de vacances pour les enfants de ses employés. A partir de 1941, des enfants juifs y seront cachés, parmi ceux-ci : Georgette Pestenback, Adela Kossakowsky, Louis Pestenback, Michel Fried … Les parents de ce dernier travaillent pour la famille Peltzer à Bruxelles. Michel restera 2 ans et demi à Nivezé. Lorsque les Allemands effectuaient une rafle au petit manoir, ces enfants clandestins s’enfuyaient dans les bois environnants ou allaient se cacher dans les caves de la ferme voisine appartenant à Albert et Germaine Gernay-Hansoulle. En automne 1944, avec l’arrivée des Américains, c’est un hôpital de campagne qui investit les lieux.
En 1947, Monsieur Georges Tordeur, fondé de pouvoir des usines Simonis à Verviers, rachète le petit manoir. Georges Tordeur est passionné par la chasse ; mais, c’est aussi un artiste, tantôt dessinateur, tantôt sculpteur. En 1966 et 1967, il écrit, en 4 tomes, une histoire, non éditée, intitulée « Chronique de la petite ville ». Il décède, à Verviers, le 4 juillet 1970.
Sa fille, Madame Christiane Tordeur épouse Erio Stéfani, hérite de la villa ; mais elle ne l’habite pas. La propriété est alors louée à un soit disant diplomate hollandais qui se révèle être plutôt un trafiquant. Un soir, ce personnage tente de fuir précipitamment en emportant une partie du mobilier ; le pillage de la villa échoue grâce à des voisins. Néanmoins, il parvient à s’échapper ; il se fera arrêter quelques jours plus tard en Suisse. En automne 1972, « Le Fagnou » est à vendre. L’époque n’est pas propice aux transactions immobilières, si bien qu’il ne trouve pas acquéreur. La propriété est alors louée pendant plusieurs années à des personnes travaillant aux Communautés Européennes.
Vers 1982, Monsieur Georges Stéfani, petit-fils de Georges Tordeur, et son épouse Catherine Vandenbrouck viennent habiter la villa. Quelques années plus tard, en 2001, ils en deviennent propriétaires et y aménagent plusieurs appartements ; la villa possède en effet de très nombreuses pièces.
Dans le magnifique hall d’entrée, on trouve encore intactes des « grenades Pakar ». Ces grenades à main datent des années 1900. On peut les considérer comme l’ancêtre des extincteurs. Elles sont constituées d’une enveloppe hermétique en verre, remplie d’un liquide chimique de couleur verte. Elles étaient livrées avec leur support métallique de façon à être positionnées facilement.
Les « grenades Pakar » étaient prévues aussi bien pour les habitations privées que pour les usines et les bureaux. Lorsqu’un incendie éclatait, il fallait les jeter violemment au centre du brasier. L’éclatement de l’enveloppe en verre libérait la substance chimique et le feu s’éteignait instantanément. On pouvait également en casser la pointe et asperger les flammes. Les « grenades Pakar » étaient fabriquées en Belgique, plus précisément à Liège, boulevard de la Sauvenière, par la Société Belge des Extincteurs Pakar.
Légende ou réalité :
La croyance populaire raconte qu’un souterrain relierait la villa « Le Fagnou » et le château du Neubois distants de plusieurs centaines de mètres et qu’un puits se trouvant dans la propriété aurait servi de cache pour des armes pendant la dernière guerre. Les quelques recherches effectuées par les propriétaires actuels sont toujours restées vaines.
Ce qui est vrai, par contre, c’est qu’une petite voie ferrée de type « Decauville » passait entre « Le Fagnou » et la ferme Gernay. Elle avait été construite entre le château du Neubois (de nos jours le Foyer de Charité) et le passage à niveau de la ligne de chemin de fer Spa-Stavelot (aujourd’hui le Ravel) situé à l’entrée des Basses-Nivezé, par l’armée allemande, début de l’année 1918, afin d’amener les matériaux nécessaires à la réalisation de l’abri bétonné aménagé près du château du Neubois pour protéger la famille impériale en cas de raid aérien. Les Nivezétois l’avaient dénommée « la voie ferrée du Kaiser ». Une petite locomotive à vapeur tractait quelques wagonnets.
L’abri du Kaiser, situé au château du Neubois, est en réalité un petit bunker enterré à environ 7 mètres de profondeur. Il se compose d’une salle rectangulaire de +/- 12 m2 de surface, accessible via le sous-sol du château et un long couloir en descente. Une porte en acier pesant 1 tonne verrouille l’accès du refuge. Une sortie de secours permet de s’éclipser dans le parc de la propriété.
Petite anecdote :
En avril 1918, lorsque l’amiral von Tirpitz résidait au Fagnou, le Kaiser lui rendait de très fréquentes visites avec au programme une marche quotidienne pour laquelle ils empruntaient, accompagnés d’un officier d’ordonnance, le chemin de campagne dénommé promenade du Neubois (de nos jours, l’avenue Général Orth).
Jean Lecampinaire
Sources : Guillaume II à Spa (Georges de la Roche – Editions J’Ose – Spa – 1935)
Spa pendant la Guerre 1914-1918 (Jacques Macquet – Ad. Com. De Spa- Bruxelles 1919) – Spa – Ancien (Pierre Lafagne – Editions J’Ose – Spa – 1934)
Note de Monsieur Georges Spailier du 18.06.1986 Monsieur et Madame Georges Stéfani-Vandenbrouck, Messieurs Paul Gernay et Yvan Gernay
J’ai été pensionnaire du Fagnou Mon père m’avait placé là en colonie . je devais avoir trois ou quatre ans à cette époque !Mon père qui travaillait pour les usines Peltzer à cette époque avait eu la possibilité de me mettre en pension et cela jusqu’au départ de l’armée Allemande ! Je me souviens très bien de cet immeuble qui était tenu par les soeurs lesquelles n’étaient pas commodes avec nous !