L’abbé Albert Defossez

L’abbé Albert Defossez

L’abbé Albert Defossez

Albert, la dernière fois que je t’ai revu, et ça faisait longtemps, cela s’est passé le jour des obsèques de ta chère « Mammy », la seconde épouse de ton père, Louis, Marthe Boudry, décédée le 25 novembre 2005.

Mon vieil ami, te voilà parti rejoindre ton Dieu, celui auquel tu avais consacré ta vie. Ce départ s’est fait discrètement, comme tu l’as toujours été, un 28 novembre 2007. Quelle coïncidence de dates ! J’ai eu vent de cela par une phrase lue dans je ne sais plus quel « canard » : « -Nous apprenons que l’abbé Albert Defossez nous a quitté ». Laconique ! Mais digne de toi, que je soupçonne de l’avoir soufflée à la rédaction.

Nés en face l’un de l’autre, toi un certain 18 juin 1932, – tiens ! Une date de «grands», et moi un 5 août, quatre ans plus tard, au Haut Vinave, car nous entrions en notre temps, dans ce monde, chez – nous sans façon.

Et quand nous jouions, filles et garçons, à faire des rondes, – « passe passe passerons, le dernier y périra », « Gaïou » et ses courses folles, au cours desquelles tu t’emmêlais les maigres guibolles, et autres jeux, ta grande carcasse filiforme sautait, gambadait, au rythme des jeux, bien en équilibre sur une paire de grands pieds. Tu avais hérité de la silhouette maternelle d’Élise, de ses longs « panards » et de ses grandes oreilles. Côté caractère, tu avais, du moins je le suppose, l’esprit indépendant et à la fois vindicatif, parfois revanchard de ton paternel, ce bon Louis, ouvrier honnête et socialiste – comme le mien -. Un « rouge » ! Quelle tête il a dû tirer mon père, quand il lui a annoncé en bégayant je suppose : « Jean, mon camarade, tu n’vas pas m’croire, mon grand dadais, oui Albert, je n’ai que celui il va, il veut entrer au séminaire ! »Tu venais de terminer tes « Humanités gréco-latines », à l’Athénée Royal, sous la houlette du « Grand Turc », ce brave Joseph Collard.

Ça a fait du bruit, d’un côté, mais, entre nous, qui te connaissions bien, depuis si longtemps, nous étions à peine surpris. Oh ! Non pas de ta décision d’être un curé, mais de la rapidité du temps qui, trop tôt, nous enlevait un camarade, d’apparence raide, dans un corps maladroit. Mais, console-toi, nous avions deviné, en même temps que toi, ce « destin », prévu par Dieu, comme tu savais si bien l’affirmer. Mais pas pour si vite, pas si tôt, pas encore ! Et tu l’as fait ton « Grand Séminaire » à Liège. Et, grand bonheur, enfin en ce jour béni par Monseigneur l’Évêque de Liège, Louis-Joseph Kerkhofs, le samedi 22 décembre 1956, tu as été ordonné prêtre. Cette cérémonie s’est déroulée dans le cœur de l’église du grand séminaire, ancienne église abbatiale. L’émotion devait être très forte ? Tu étais couché sur les dalles de marbre, sous les voûtes en demi-cercle. Le tout pesait sur toi. Moi, en cette année, j’entamais mes études d’architecture à l’Académie des Beaux-Arts de Liège. Ainsi, sans le savoir, nous entrions tous deux de plain-pied dans notre rêve d’avenir.

Enfin tu pouvais te lancer dans la réalisation de ton rêve : « être prof ! » a été très vite. L’école normale de Saint Roch de Theux t’avait engagé pour débuter un lundi de janvier 1957, le 7 pour être précis. Ta charge consistait à enseigner l’histoire, le néerlandais et la géographie. Et comme si cette salade ne suffisait pas, on t’avait confié des heures de surveillant. Cela n’a pas duré, car tu étais pressenti pour reprendre une charge au Petit Séminaire de St Trond. Adieu Saint Roch, le 31 août 1958, salut Saint-Trond, le 1er septembre 1958. Hélas ! Cette joie d’avoir une promotion fut de courte durée. En effet, un petit mois plus tard, par un dimanche d’automne, le 19 octobre 1958, le vent a emporté l’âme d’Élise Froidville, ta chère, trop chère Maman.

Puis est venue la « chance » de ta vie ! Mais tu ne la pressentais pas. Souviens-toi, lorsque tu as reçu par ce brave facteur, ce courrier qui annonçait ta désignation de professeur pour le « Collège Saint Roch Ferrières », en cette fin juin 1961. Heureux, car ta mise en congé ne te gréait guère.

Les deux mois de vacances n’en eurent que l’apparence, car il te fallait préparer ce « déplacement », dont, instinctivement, tu pressentais l’importance. Avoue quand même que tu cachais bien ta joie ! Bref, tu as tenté de noyer ton impatience – défaut apparemment refoulé dans ta conscience – pour, tranquillement, préparer ton déplacement vers ce lieu que tu ne connaissais que de réputation.

Voici septembre, certes. Mais pas un septembre comme les autres. Mais de cela tu ne t’en doutes pas encore. Tu débarques à Xhoris, là où le bus t’a abandonné. Maintenant il te fallait prendre une route étroite qui s’enfonçait, sinueuse, dans une forêt dense. Heureusement, Dieu te suivait. L’automne y était beau, qui changeait lentement de tons. Après deux bons kilomètres, comportant quelques arrêts pour changer ton bagage de bras, tu fis la découverte d’un imposant ensemble de bâtiments, joyau architectural posé dans un écrin boisé, qui le protégeait de partout. Cette révélation de Bernardfagne te laissa pantois. Une étrange impression d’un mélange étrange d’architecture, comme si, par la volonté d’un architecte farfelu, peut-être poète, chaque époque, depuis le XIIème siècle, y avait laissé un échantillon, certes bien intégré, de l’évolution de l’art de bâtir. Pour longtemps.

Le porche franchi, comme une coquette, l’ancien monastère aguicha ton regard de nouveau venu, que tu étais. Les lignes pures et sobres des bâtiments t’étaient à la fois rassurantes et intrigantes. –« Est-ce un signe de bienvenue ou un avertissement ? » Le séminaire épiscopal de Liège, qui en est le propriétaire des lieux, a créé, une école en l’an 1820, devenue collège. Tu as pu en faire le constat, mon ami Albert, que ce cadre est enchanteur. Peut-être avec un zeste de paganisme de forêt gauloise ? Qui sait ? Là, dès cet instant, dans ce domaine héritier d’un passé capricieux, tu ne le savais pas encore, mais t’attendaient de longues années. Te voici sur place en ce premier septembre 1961. Le directeur, l’abbé Georges Jehenson, titulaire d’une candidature en Raymond Thimister, liégeois de naissance depuis le 14 avril 1915, ordonné en ce 2 septembre 1939, juste avant la guerre. Ainsi tu as mené une vie de prière inspirée de la spiritualité de St. Benoît.

T’accommodant d’une santé fragilisée, ce 22 décembre 2006, plusieurs professeurs et anciens élèves t’avaient rejoint en ta retraite, afin de commémorer ton jubilé sacerdotal. Heureux, certes tu le fus, mais, insidieusement, ta santé s’affaiblissait par ton point fragile, tes yeux, qui étaient de plus en plus rouges et, par ce fait, larmoyants. Tu as accepté les soins nécessaires avec un grand courage. A cela sont venus s’ajouter des problèmes respiratoires dus à l’âge. La providence veillait sur toi, qui t’as permis d’être accompagnateur de malades au Domaine de Nivezé, près de la fontaine ferrugineuse du Tonnelet. Là tu as fait connaissance avec l’abbé Henri Bastin, aumônier de ce « Foyer de charité », depuis 1987. De retour au couvent, ton état s’est aggravé vers la fin de mai 2007. La mère supérieure du couvent, sœur Thérèse a dû se résoudre à te faire hospitaliser, car, malgré deux autres hospitalisations, rien de positif ne s’était produit. Ainsi, tu fus transféré au C.H.U de Liège, plus spécialisé en ces cas précis concernant ton système digestif. Comme il ne faut guère s’acharner, tu as été renvoyé à la « maison », au couvent, ton dernier domicile.

C’est là, bien entouré, que le 28 novembre 2007, au couvent des Filles de la Croix, en Hors Château, à Liège, tu as rendu ton dernier soupir.

L’évêque de Liège en fonction, Monseigneur A. Jousten, l’évêque émérite Monseigneur A. Houssiau, la congrégation des Filles de la Croix, et nombre de tes amis ont annoncé ton décès.

Le dernier adieu t’a été fait, du moins pour cette existence, suivant tes convictions, le samedi 1er décembre 2007 à 10 heures.

A mon tour de te dire au revoir, en te promettant que je garderai toujours le souvenir d’un grand gamin maladroit qui nous faisait bien rigoler, mais attachant et bienveillant. Albert, si là-haut tu lis « Réalités », prie un coup pour nous tous, ceux qui t’ont connu et ceux qui vont te connaître, au travers de ce modeste raccourci d’une vie trop bien remplie.

Allez, salut l’Albert !

Jean Pierre Montulet


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