Les fêtes de Noël s’accompagnent de nombreuses traditions culinaires telles que la bûche, les bouquettes, la dinde, le lapin, le boudin noir.
Même si le boudin ne constitue plus un mets de choix dans de nombreuses familles à l’époque de Noël, la tradition reste cependant vivace dans notre région. Il n’est pas rare en effet de voir des personnes manger le boudin après la messe de minuit, tard la nuit ou lors de réunions d’associations aux environs de Noël. C’est d’ailleurs le cas à Réalités.
Une tradition ancienne
Le boudin noir que l’on mange à Noël est une tradition très ancienne. En effet, dans la société traditionnelle, la grande majorité des personnes vivent pauvrement. On ne mange pas régulièrement de la viande, à l’exception de la fin d’année où l’on tue le cochon. De nombreuses familles nourrissent en effet un ou deux porcs que l’on tue peu avant la Noël. En effet, c’est à cette saison, au moment des grands froids que le cochon a le plus de graisse et que la conservation de la viande pose le moins de problème.
On mangeait le boudin noir « li tripe » essentiellement après la messe de minuit. En wallon, on l’appelait « li neûre tripe » ou « li tripe à song ». Il était fabriqué avec la viande du cou, les dépouilles (coeur, rate, poumon), le sang recueilli lors de l’égorgement de l’animal et des oignons. Le boudin blanc « blanke tripe » était composé de pain blanc, de déchets de viande : lard, petit salé, viande collant aux os, d’oignons, le tout pétri avec du lait. On introduisait cette préparation dans les boyaux qui avaient été lavés et grattés préalablement. Le tout était mis à cuire dans l’eau bouillante.
On se délectait également d’autres parties du porc durant la nuit de Noël. Ainsi un très vieux chant de Noël « Bondjou, wèsène, dwèrmez-ve èco ? » nous donne des précisions sur une traditon culinaire concernant les côtes de porc :
Qwand n’s ârans stu a deûs’ treûs messes,
Nos vinrans cial magni des cwèsses
Si magn’rans-ne ine aune di tripe
N’èst-i nin vrêy, cusène Magrite ?
Quand nous aurons été à deux ou trois messes (durant la nuit de Noël), nous reviendrons ici manger des côtes de porc, nous mangerons bien une aune de boudin, n’est-il pas vrai, cousine Magrite.
On tue le cochon en communauté
La coutume fixait des règles informelles de l’abattage du cochon. Voisins et parents s’entendaient pour échelonner la mise à mort. L’ordre adopté pouvait suivre celui de la rue du village, chacun se rendant chez l’autre à tour de rôle. Il fallait en effet se réunir pour terminer rapidement les parties altérables de la bête; les tripes par exemple. On ne pouvait en effet conserver la viande dans des frigos. Il était donc indispensable de la saler (le fameux saloir de la chanson de St Nicolas), de la fumer (jambon d’Ardenne) ou de la manger rapidement (les tripes, le sang). Ainsi, mangeait-on évidemment beaucoup de viande en cette période de fin d’année.
« C’était le moment où la fermière, consultant son calepin où étaient mentionnés les cadeaux reçus d’autres fermières à la même occasion, faisait les parts de tripes et de côtelettes destinées à être envoyées à titre de remerciement ou offertes en cadeaux à des amis… » (1)
Un dicton wallon « In’ si pwèrtèt nin dèl tripe » « ils ne se portent pas du boudin » est passé dans la langue pour indiquer une mésentente ou le fait que deux personnes ne se fréquentent plus.
Tuer le cochon : une opération délicate
Le cochon était généralement tué dans la cour de la ferme par le tueur de cochons. Les bouchers et charcutiers étaient peu nombreux à l’époque et on les trouvait rarement dans les villages. Le tueur de cochon se rendait ainsi de ferme en ferme à partir de la fin octobre jusqu’à Noël. Voici comment se déroulait ce rite.
Le plus dur était de sortir le cochon de son « rang » (porcherie). Habitué à la pénombre de sa bauge, ébloui par la lumière du jour, il refuse généralement obstinément de bouger. Le plus délicat était de lui passer une solide corde de chanvre avec un nœud coulant aux deux pattes avant et arrière, du même côté. Il ne fallait pas tendre les cordes de manière à effrayer l’animal le moins possible, pour qu’il ait l’impression de sortir librement. On disait que les jambons ne se salaient pas bien quand l’animal avait été échauffé. Le porc a deux points sensibles, les oreilles et la queue. L’un s’agrippait aux oreilles, l’autre lui tirait la queue, car la famille est là au grand complet, bien sûr. A force de pousser et de tirer, le cochon bondissait en avant en poussant des cris épouvantables. Tout le village savait alors que l’on mangerait du boudin…
Les enfants sont tous là, attentifs, mais à bonne distance. Parfois, le cochon l’emportait pendant quelques instants et s’échappait. Il était alors très difficile de le rattraper.
Tout est prêt. Le cochon arrive, poussé et tiré à la fois. Maman attend le poêlon à la main, elle y a mis une poignée de sel . Le tueur, un professionnel, celui-là, a son couteau effilé et suraiguisé, à portée de main. Arrivé sur l’endroit pavé, le maître d’œuvre ramène les deux cordes entre les deux pattes non liées et tire dessus fortement vers lui, pendant que deux aides appuient sur la tête et les jambons du cochon, qui déséquilibré tombe sur le flanc. Il hurle son dernier et affreux chant de mort. L’aide frappe la tête du porc d’un coup sec avec le dos d’une hache comportant une pointe. C’est le silence. D’un geste calme et sûr, le tueur enfonce le coutelas dans la gorge, toujours au même endroit, il faut trancher la veine. Le fer s’enfonce sans hâte. Les deux aides, presque couchés sur le porc le maintiennent solidement. Les enfants qui n’ont pas osé regarder sont traités de « petites filles ».
Un ruisseau de sang jaillit, recueilli précieusement dans le poêlon par la maîtresse de maison. De son autre main rougie, elle le mélange avec le sel pour l’empêcher de cailler. L’animal pousse un dernier cri gargouillant. Attention au dernier coup de patte qui pourrait renverser le précieux sang. Papa saisit une patte avant et l’anime d’avant en arrière pour vider complètement le cœur. Les mouvements ralentissent; ils deviennent convulsifs. Le porc est mort. Les hommes se relèvent; les plaisanteries fusent… Le petit chien de la maison lèche le sang qui a coulé entre les pavés. Quelques flocons de neige tombent. Le fond de l’air est frais.
Chacun discute du poids du cochon, 99, 95, 100 KG. Il faut le peser. L’animal est retourné sur une échelle et transporté sur la bascule. Presque 100 KG. Avec le sang, il les faisait, dit papa.
Le porc couvert de fange est transporté vers le bûcher. Il s’agit d’une vingtaine de rondins sur lesquels on le dépose. Les enfants se sont rapprochés; ils font le cercle. « Papa saisit une brassée de paille d’orge dont il couvre l’animal. Pas de paille de seigle, dit-il; elle sera réservée aux torches qui parachèveront le travail. On allume le feu à la paille. Une odeur de corne brûlée se répand. Les poils grillent et crépitent en se recroquevillant. Dès que les dernières flammes s’éteignent, mon frère brosse vigoureusement l’animal avec un balai de genêts ou de bouleau. Papa n’est pas content : on a mis trop de paille sur la panse du porc dont la peau s’est boursouflée ». Ce n’est pas maintenant qu’il faut le cuire.
Avec des torches de paille de seigle enflammées, on achève le travail. Les enfants sont les plus heureux. Exceptionnellement, ils peuvent jouer avec le feu. Papa racle les bords de la blessure mouillés de sang avec un couteau. Il attarde longuement la flamme sous les sabots, qui une fois cuits, se déchausseront facilement d’un tour de main. On retourne l’animal et l’on recommence les mêmes opérations de l’autre côté.
Pendant ce temps, maman a préparé beaucoup d’eau chaude, pas trop chaude cependant; il ne faut pas abîmer le lard. Il va falloir nettoyer l’animal jusqu’à ce qu’il ait rendu son rose primitif. Chacun s’active avec une rape ou une pierre ponce. On frotte vigoureusement chaque centimètre de la bête. La râpe est de fabrication maison : imaginez une boîte de pilchard dont on a enlevé le couvercle. On a percé le fond intérieur de centaines de trous avec une pointe. Une poignée de bois, et voilà le plus merveilleux outil de décapage… Ce n’est plus le cochon qui me contredira. Maman verse l’eau chaude au-dessus des râpes, à la demande. Mais que de coins et de recoins difficiles à nettoyer : les oreilles, les pattes, la queue… Tout le monde s’y met dans la bonne humeur. Avec un couteau tranchant comme un rasoir, papa rase une dernière fois l’animal, puis il lui coupe le petit bout de la queue qu’il jette au chien. Quelque bons seaux d’eau et le voilà net, doré à point.
Un coup de couteau adroit, une torsion habile entre deux vertèbres, et voilà notre cochon décapité. Papa lave soigneusement la tête dans une eau d’eau rougie. Le cochon est maintenant maintenu sur le dos par les enfants qui tiennent solidement chacun une patte. Une longue entaille est pratiquée d’un bout à l’autre du corps. Attention à ne pas toucher les intestins ! Mètre par mètre, Papa enlève les boyaux en les séparant de leur filet de graisse et une vapeur chaude monte des entrailles. Le ventre est vidé; on arrache le foie, le cœur et les poumons. la rate est jetée au chien. Une partie des abats seront découpés en petits cubes, cuits le soir même en fricassée avec de petits oignons. Un régal.
Il ne reste plus qu’à scier le porc de long en long. C’est un travail assez pénible. La scie n’est pas toujours des mieux aiguisée. Nous nous y mettons à trois. Il reste à déposer les deux moitiés dans la pièce le plus froide de la maison. Cette viande trop chaude ne pourra être découpée que demain.
Maman et ma sœur grattent déjà les boyaux sur une planche. Attention à ne pas les déchirer. Ils seront ensuite retournés sur une aiguille à tricoter. C’est un travail peu ragoûtant, mais la vision d’une montagne de boudin noir fumant donne du cœur au ventre. Papa vient de terminer le travail en étalant soigneusement la voilette dont on recouvrira les pâtés. Avec une paille, les enfants gonflent fortement la vessie qui sera mise à sécher, elle leur servira de ballon. Anciennement, lors de la St Nicolas, les pères fouettards distribuaient de larges coups de vessies séchées aux méchants enfants. C’était impressionnant et surtout inoffensif. J’ai souvenance d’avoir vu mon grand-père ranger soigneusement son tabac pour la pipe dans une blague à tabac en vessie de porc. Cela gardait, parait-il merveilleusement l’arôme du tabac.
Il ne restait plus qu’à distribuer à tous les hommes le petit verre de peckèt, puis un deuxième, car » on ne s’en r’va pas sur une jambe … »
Extrait de Fraselle J.J. : On tue le cochon.
Saint Antoine : patron des bouchers, charcutiers.
St Antoine (à ne pas confondre avec St Antoine de Padoue, invoqué pour retrouver les objets perdus) est fêté le 17 janvier. Saint Antoine, né vers 251 se retire dans le désert pour y mener une vie d’ermite. C’est là, selon la tradition, qu’il fut en proie à des visions, des tentations immortalisées dans les œuvres de nombreux artistes tels Jérome Bosch et Salvador Dali.Il est représenté le plus souvent accompagné d’un cochon portant une clochette au cou. Il est le saint patron des bouchers, charcutiers, marchands de porcs. Cette sonnette est parfois attachée au bâton du saint. Dans les représentations plus anciennes, on peut le voir en compagnie d’un sanglier. Puis, les traits de ce sanglier vont s’adoucir; il deviendra un gentil cochon domestique.
En fait, le cochon, qui aime à se prélasser dans les ordures est devenu au moyen âge le symbole de la luxure, du diable, des plaisirs charnels. Antoine, par son abstinence et son jeûne, a réussi à domestiquer ses appétits charnels. Le cochon rappellerait donc les tentations d’Antoine.
Quant à la clochette, elle semble avoir une origine historique. En effet, au moyen âge, il était habituel de laisser les cochons vaguer librement dans les rues des villes. Ils se nourrissaient des ordures que les habitants jetaient dans la rue (les poubelles n’existaient pas) et les cochons servaient d’éboueurs. Or, le 13 octobre 1131, Philippe, fils aîné du roi de France, heurta un cochon qui s’était jeté sur son cheval. Ce dernier se cabra et le dauphin de France trouva la mort dans cet accident. Le roi interdit de laisser errer les porcs, à l’exception de ceux du monastère Saint-Antoine. Il leur imposa cependant de porter une clochette.
Une autre hypothèse fait remonter cette pratique à une légende bien lointaine. On raconte en effet qu’un roi de Catalogne avait fait appel à saint Antoine pour libérer sa femme et son enfant de la possession du démon. Le saint, qui était réputé pour avoir résisté aux emprises du Malin se rendit donc dans le palais royal. Au moment où il allait franchir le seuil, une truie, qui venait de mettre bas, déposa au pied du saint un porcelet monstrueux né sans yeux ni pattes. Le bon saint fut ému par les grognements de la mère et signa le porcelet qui retrouva sur le champ l’usage des yeux et des pattes… Le roi qui avait été associé à l’opération fut lui-même doté du pouvoir d’exorciser. Il s’empressa dès lors de libérer sa femme et ses enfants.
C’est pourquoi, St Antoine est invoqué pour la protection des animaux domestiques.
La vente aux enchères de têtes de cochon
Un petit village de Hesbaye, qui a revendiqué le titre de république libre de Blehen lors des fusions de commune, a remis à l’honneur en 1975 une confrérie de l’ordre de Saint Antoine qui existait déjà au 19 ième siècle.
Les membres de la confrérie, des pseudo moines animent diverses activités folkloriques dont la fête de St Antoine le 17 janvier. Chaque année, les « moines » arpentent les rues et sentiers du village afin de bénir les animaux et distribuer le pain Saint- Antoine. Ils entonnent un chant traditionnel racontant l’arrivée du saint à Blehen et ne se privent pas de boire le pecket que les habitants se font un plaisir de leur servir.
Le moment le plus intéressant de ces manifestations réside certainement dans la remise à l’honneur d’une tradition très ancienne. Après la messe de 10 heures, le prieur procède à la mise aux enchères, devant le parvis de l’église, de quatre demi têtes de cochon de « bonne et belle venue ». Les habitants se font un honneur de faire monter les enchères et en 1990, les têtes rapportèrent plus de 6.OOO F. Ensuite a lieu le grand chapitre de la confrérie où se rassemblent plusieurs confréries belges et étrangères. L’intronisation des nouveaux membres est l’occasion de déguster divers cochonnailles et tripailles. Une bière spéciale « cuvée saint Antoine » a également été remise à l’honneur.
Pol Jehin
Arnone N., Manette ML, Moes I, Van Esch V. : La gazette des quatre portes ronéo.
J.D. Boussart : La vie Liégeoise décembre 1974