Sitôt la Grande guerre terminée, le Gouvernement belge autorisait les autorités communales de Spa à s’inquiéter de la présence d’Allemands domiciliés à Spa. Le secrétaire communal Macquet prend sa plume et transmet une liste de 142 personnes toutes nées sur le territoire allemand. Mais subtilement le Gouvernement belge avait déjà pris les mesures avant la signature de l’armistice du 11 novembre. Ainsi une lettre datée du 19 octobre 1918 expédiée de Sainte-Adresse (*), à tous les gouverneurs des provinces belges donne l’ordre aux bourgmestres de prendre leurs dispositions concernant les étrangers qui sont domiciliés ou en transit dans les communes.
Cet arrêté royal du 12 octobre 1918 vise plusieurs catégories de personnes qui demandent une « surveillance spéciale » :
- les citoyens nés dans un pays ennemi, soit l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Bulgarie et la Turquie
- les étrangers qui ont obtenu un permis de séjour
- les citoyens nés d’un étranger et qui ont acquis la nationalité belge par naturalisation.
Les mêmes mesures pourront être prises à l’égard des personnes, mêmes belges qui n’ont pas de domicile fixe en Belgique ou que leurs relations avec l’ennemi rendent suspectes. Les personnes suspectées ont quinze jours pour se signaler à l’aide de bulletins ainsi que des récépissés de déclaration. Si cette lettre est adressée le 19 octobre, c’est le 21 décembre 1918 que le bourgmestre de Spa transmet les documents au commissaire de police Michel Heynen.
Pour certains citoyens domiciliés à Spa, c’est une sérieuse mise en garde. Ils risquent de faire leurs valises avec femmes et enfants dans les plus brefs délais et « aller voir ailleurs si l’eau ferrugineuse existe dans d’autres contrées ». Rassurez-vous fiers Spadois, les pires Allemands étaient déjà partis avec l’armée ainsi que les collaborateurs d’aout 1914 et les grands trafiquants de chevaux. Plusieurs familles Allemandes ont quitté également la Belgique avant août 1914. Les propriétaires de «seconde résidence» comme toutes celles qui remplissent les villas des avenues et des boulevards spadois ne sont pas repris dans la liste, leur domiciliation est autre part. Certains hommes qui ont été recrutés par l’armée allemande et qui étaient domiciliés à Spa, ne sont pas revenus dans la cité thermale, sans doute eux aussi décédés dans cette dramatique aventure qu’est la guerre. Une décision gouvernementale a une importance capitale pour certains Spadois (ses). Notre bourgmestre de 1918 reçoit deux lettres de la Sûreté Publique, 2e Direction générale du Ministère de la Justice, le 20 février 1919 et le 12 avril 1919. En résumé voici le contenu de la 1e : «des personnes originaires de la Wallonie malmédienne mais résidant en Belgique, se sont adressées à mon Administration en vue d’obtenir la faveur d’être dispensées de la formalité de contrôle auquel les sujets Allemands sont astreints. J’ai l’honneur de vous faire savoir qu’il y a lieu de réserver un accueil bienveillant à ces demandes lorsque l’attitude des intéressés a été loyale pendant l’occupation…ces personnes seront alors dispensés du contrôle.» et le 2e : « je saisis l’occasion, Monsieur le Commissaire de police, pour signaler que lors de la remise des nouvelles cartes d’identité, les cartes des personnes identifiées comme « Malmédiennes » ne doivent plus porter la mention nationalité « Allemande » ou « Indéterminée » mais bien « Wallonnie Malmédienne » sinon le travail si utile accompli par la Commission d’identification aurait été fait en pure perte ». C’est en effet à partir de 1919 que le territoire belge s’agrandit avec l’arrivée des futurs Cantons rédimés ou Cantons de l’est. On disait aussi que ces « cantons furent offerts » à la Belgique en compensation des pertes subies lors de la guerre. Ainsi les « wallons allemands » devenaient une offrande à la population belge meurtrie !
Pour le Spadois, le choix est plus qu’amer et difficile. Après toutes les atrocités guerrières des 48 derniers mois, ils doivent maintenant vivre avec l’ennemi qui habite à côté de chez lui…même s’il parle wallon ! Et que dire des familles dérecomposées, des invalides de guerre et des plaies difficilement guérissables. Mais la décision est sur la table, les ex-Prussiens d’Ovifat, Waimes ou Malmedy deviennent belges avec les germanophones d’Eupen et Saint-Vith, qui eux ne sont pas des malmédiens.
La liste des 142 Allemands est composée de 90 filles, épouses ou veuves âgées de 16 à 87 ans et de 52 hommes de 20 à 91 ans. La plupart (65) sont nés dans la Prusse malmédienne, tous nés à Bellevaux, Bévercé, Waimes, Malmedy et Thirimont. 43 personnes sont nées dans les Cantons de l’est actuels et sont réputés d’expression germanophone. Tous les autres sont nés en Allemagne et une personne est née en Pologne mais devenue belge par mariage. Trente-cinq épouses sont belges par leur mariage avec un spadois belge, d’autres femmes allemandes sont devenues hollandaise, Italienne, luxembourgeoise pour avoir marié un étranger. Parmi les femmes, six sont religieuses domiciliées rue Albin Body à l’Institut Ste-Croix et rue de la Géronstère à l’orphelinat du Waux-Hall.
Certains hommes sont domiciliés à Spa depuis une génération, ils sont boulangers, balayeur communal, carrossier, charretier, hôtelier, maître d’hôtel, menuisier, musicien etc. Quatre sont propriétaires et quatre femmes sont rentières, mais surtout une soixantaine d’entre elles sont ménagères ou trop âgées pour travailler (une cinquantaine de 40 à 84 ans et même une pensionnée de l’état). Vous aurez compris que beaucoup de ses allemands (des) sont des wallons prussiens, des personnes âgées non recrutées parmi l’armée allemande. Mais dans le lot il y a quand même six soldats allemands à Spa, des malmédiens ! A suivre.
(*) Pendant l’occupation allemande du pays, Sainte-Adresse dans le département de Seine Maritime fut capitale administrative du royaume, cédée à bail au gouvernement belge pour la durée des hostilités, afin de ne pas faire de celui-ci un gouvernement en exil. Mille personnes composaient ce groupe utilisant des timbres-poste belges, ainsi qu’un parc automobile, un hôpital, une école et une usine d’armement.
Sources bibliographiques : Fonds Body ; Fardes Guerre 14-18.
Jean-Luc SERET