En regardant plusieurs cartes postales anciennes de la promenade Meyerbeer, mon attention a été attirée par les noms donnés à certains endroits de la promenade et plus particulièrement aux ponts. Ainsi, vous trouverez sur ces cartes postales les noms suivants : le pont du Prophète, l’escalier du Prophète, le pont de Robert le Diable, l’escalier des Huguenots, le Vieux Pont ou le Pont Rustique, le Champignon, le pont de la Chèvre, le pont du Soir, le pont du Pardon de Ploermel, le Marcenillier (erreur pour Mancenillier).
Que peuvent-ils bien signifier ? Il s’agit en fait pour un certain nombre d’entre eux des noms d’œuvres de Meyerbeer, plus exactement d’opéras : notamment : « Le Pardon de Ploermel », « Le prophète », « Robert le Diable », « Les Huguenots ».
J’ai été intrigué par une carte qui s’intitule « Le Marcenillier ». Il s’agit d’une coquille puisqu’en fait le Mancenillier est un arbre qui pousse notamment en Amérique centrale. La sève de ses feuilles, de ses tiges et de ses fruits est très toxique et peut provoquer des empoisonnements et des brûlures.
Dans l’Air du Mancenillier de l’opéra de Meyerbeer « L’Africaine », au dernier tableau de l’œuvre, le feuillage d’un mancenillier, parsemé de fleurs écarlates, surplombe les eaux de l’Océan Indien. De ce promontoire, Sélika, souveraine abandonnée par son époux Vasco de Gama, contemple l’horizon où disparaît à jamais le navire de ce dernier. Elle se suicide en respirant les effluves toxiques du mancenillier. Elle est bientôt gagnée par un accès de délire et elle tombe dans le coma. Elle succombe en l’espace de trente minutes suite à une intoxication provoquée par les feuilles de l’arbre (dans F. Trépardoux dans la revue d’histoire de la pharmacie de 1992 n°292 p 435-438).
« Créée à l’opéra de Paris en 1865, l’Africaine connut un succès énorme, atteignant sa centième représentation en moins d’un an, ce qui ne s’était jamais vu. Le scénario de Scribe (l’auteur des paroles de l’opéra) s’inspire donc d’une donnée scientifique (l’arbre est bien vénéneux) et s’inscrit dans la mode de son époque pour l’exotisme et les drogues, comme le précise l’auteur de cet article.
Cette incursion insolite des sciences naturelles dans le drame lyrique, exhibant la démence onirique propre aux paradis artificiels fut très appréciée d’un public friand d’exotisme sauvage. C’est l’époque où les progrès de la chimie et ceux des transports terrestres et maritimes permettent à une élite marginale de s’adonner au haschisch, à l’opium, à la morphine ou à la cocaïne. » (p.436)
En suivant la promenade entre la source de Barisart et la source de la Géronstère, on pouvait ainsi s’imprégner de l’œuvre de Meyerbeer
Rendre leur nom aux ponts de la promenade Meyerbeer
L’Office du Tourisme pourrait-il prendre l’initiative de remettre à l’honneur ces noms disparus ? Au cours de sa randonnée, le promeneur aime toujours découvrir des lieux particuliers, des anecdotes. Il s’agirait ainsi de remettre à l’honneur tout au long de la promenade les œuvres du compositeur et d’évoquer sa vie dans notre ville, notamment son habitude de monter un âne pour se promener et de se munir par tous les temps d’un parapluie. Des plaques (en bois) pourraient être placées à ces divers endroits et un dépliant serait proposé à l’Office du Tourisme situant les noms des endroits rencontrés.
Il serait également intéressant de remettre en valeur la stèle apposée sur un rocher derrière la source de Barisart à l’entrée de la promenade.
En août 2012, on a fêté le centième anniversaire des fêtes données en l’honneur de Meyerbeer. En 1912, on inaugurait le buste du compositeur qui se trouve actuellement dans le petit golf au Parc de Sept Heures. On pourrait profiter de cet anniversaire pour remettre Meyerbeer à l’honneur.
La promenade Meyerbeer fut créée en 1861.
En séance du 16 juillet 1860, l’échevin Servais proposa au conseil communal de donner le nom de l’artiste à la promenade qui va de Barisart à la Géronstère.
Cette proposition fut adoptée par acclamation.
Pierre Lafagne, dans Spa-Ancien ed. Jose 1934 page 73, écrit qu’informé de cette décision, « Meyerbeer répondit par une lettre dont nous extrayons le passage suivant:
« Je ne saurais vous exprimer, Messieurs, combien je suis « touché de l’honneur que vous projetez de me faire en voulant donner mon nom à la nouvelle promenade de Barisart à la Géronstère. Cette marque de sympathie me flatte d’autant plus qu’elle vient de cette ville de Spa, si chère à mon cœur, car je dois à ses sources bienfaisantes l’affermissement de ma santé, à ses sites pittoresques des inspirations et de doux loisirs, à ses habitants un accueil cordial et bienveillant depuis un grand nombre d’années. »
Albin Body précise que « Ce fut le bourgmestre Servais (alors échevin) qui en traça les contours et qui dirigea l’exécution des travaux ».
Elle ne coûta que 1200 francs. (A. Body, Spa histoire et bibliographie TII page 417).
Pierre Lafagne, dans Spa-Ancien ed. Jose 1934 page 72-73, décrit la vie de Meyerbeer à Spa.
« Meyerbeer fut un bobelin fidèle et l’on peut dire que pendant trente ans – de 1829 à 1860 – son assiduité ne s’est pas démentie. Les Spadois étaient à ce point habitués au séjour annuel de Meyerbeer qu’ils étaient tentés de s’écrier, dès qu’ils voyaient réapparaître le compositeur et son âne: « La saison est ouverte! »
Il avait la santé délicate. Sa préoccupation primordiale étant de soigner sa santé, son premier souci de la journée était de poursuivre sa cure régulière d’eau ferrugineuse au Pouhon. Aussi dès six heures du matin était-il debout. Après une douche froide qu’il se faisait administrer à l’aide d’un arrosoir tenu par son domestique, il se rendait au Pouhon où il buvait un verre d’eau minérale. Après une promenade d’un quart d’heure dans l’Allée de Sept Heures, il venait prendre un second verre d’eau pour repartir à nouveau en promenade pédestre de quinze minutes. Il effectuait ce manège trois fois avant de déjeuner. Il était excessivement méticuleux. C’est ainsi qu’après chaque verrée de pouhon, il se frottait les dents avec trois feuilles de sauge exactement.
Le grand homme avait besoin d’air, de beaucoup d’air, aussi ne se faisait- il pas faute d’aller respirer celui de nos bois. Il entreprenait donc de petites excursions aux alentours de Spa. Comme il n’avait aucun goût pour les exercices pédestres, il accomplissait ses randonnées à dos d’âne, Meyerbeer avait ceci de particulier qu’il ne montait pas son aliboron comme les cavaliers ont coutume de monter les chevaux, ni comme les amazones non plus. Il voyageait à cacolet, c’est-à-dire assis sur une sorte de siège fixé sur l’échine de l’âne ». Meyerbeer ne renonçait jamais à son inséparable parapluie. Il le tenait sous le bras tandis qu’il portait, en guise de couvre-chef, une de ces « buses » trois-quarts à la mode sur la fin du 19eme siècle. Il va sans dire que cet ensemble devait avoir quelque chose de vaguement comique que le prestige du Maître ne réussissait sans doute pas à écarter. »
Giacomo Meyerbeer, de son vrai nom Jakob Liebmann Beer, est né à Berlin le 5 septembre 1791. Il est mort à Paris le 2 mai 1864. Ses œuvres sont considérées comme fondatrices du « Grand Opéra français ».
Pol Jehin