Cet article paru dans Réalités de janvier 2008 posait la question suivante « …pourquoi les scories trouvées près du ruisseau de Barisart à Spa ont une couleur bleu ciel ou parfois verdâtre ? ».
Une petite correction du texte s’impose pour mieux coller à l’exactitude historique. Sur le site de Barisart en bordure du ruisseau, il faut parler d’un haut-fourneau ancien et non d’un bas fourneau car le bas fourneau ne nécessite pas d’énergie hydraulique, le bas fourneau ne produit pas de scories bleues et de plus, en 1471, le bas fourneau n’était probablement plus utilisé.
Chronologiquement, la réduction du minerai de fer, omniprésent en petits gisements dans notre région, a utilisé des fourneaux de deux types, chacun évoluant suite aux améliorations apportées par l’habileté des nombreux maîtres de forge locaux.
Depuis les Celtes, spécialisés chez nous en sidérurgie, le bas fourneau n’a cessé d’évoluer dans nos régions. Constitué à l’origine d’une grosse botte de baliveaux enchevêtrés au centre desquels on plaçait une masse de minerai de fer qui devenait après combustion de bois une loupe de fer très impure contenant du charbon de bois et des impuretés dues à la gangue du minerai et qui devait être martelée au moyen d’un maka pour obtenir une masse métallique homogène.
Plus tard, on a conçu des bas fourneaux construits dans le sol avec captage du vent dominant au ras du sol ; air qui était dirigé vers le fond du foyer où étaient superposés des lits de charbon de bois et de minerai. Par la suite l’alimentation en air a été assurée par un soufflet actionné manuellement.
Ces fourneaux installés où se trouvait le minerai, produisaient des loupes de fer et des déchets ayant l’aspect de mâchefers noirâtres, très poreux parce que truffés de vacuoles de gaz car la température du fourneau n’était pas suffisante (800 à 900°C) pour que ces résidus minéraux soient fluidifiés et puissent couler hors du fourneau et former des scories vitreuses.
On peut observer de telles scories en grande quantité dans l’Hertogenwald Occidental secteur du Brandt. (revue Hautes Fagnes n° 267, 3ème trim. 2008) Ces scories appelées aussi crayats de Sarrasins, les premiers fondeurs étant d’origine catalane, ont été revendues par les communes aux exploitants de fourneaux au coke au 19ème siècle (Jalhay vend 2700 T en 1858), la teneur en fer restante étant de 30% environ.
Vers les 13ème et 14ème siècles, les maîtres de forge s’installèrent en bordure des rivières pour pouvoir implanter des roues à aubes qui devaient actionner les soufflets destinés à injecter de grandes quantités d’air dans le ventre de leurs nouveaux hauts- fourneaux.
Le minerai et le charbon de bois devaient être transportés vers les fourneaux contrairement à ce qui se faisait antérieurement.
On a compté jusqu’à 17 forges sur la Hoëgne et le Ru de Dison entre Jalhay et Polleur. Plus près de Spa, il y a eu des forges à Marteau, Winamplanche et aussi à Spa, entre autres sites, sur le ruisseau de Barisart (fourneau de Scéay).
Ces hauts-fourneaux anciens étaient construits sur le même principe que les fourneaux modernes, construits hors sol, hauts de 3 à 5 m, ils comportaient un creuset surmonté d’une cuve qui était chargée par le haut de 1/3 de charbon de bois et 2/3 de minerai concassé et lavé, on y ajoutait du calcaire pour faciliter la fusion de la gangue du minerai qui formera un laitier fusible flottant sur la fonte liquide dans le creuset.
La température au cœur du ventre était telle que l’oxyde de fer se transformait en fonte (fer + 2,5 à 4,6 % de carbone) au contact du carbone du charbon de bois. A intervalles réguliers, on laissait couler le laitier hors du fourneau qui cristallisera en masse vitreuse, ensuite la fonte sera coulée dans des rigoles pour en faire des gueuses. La fonte devra être transformée en acier (fer + max. 1 % carbone) dans un autre type de foyer suivant la méthode inventée par les Wallons.
Vu le mauvais rendement de ces hauts-fourneaux, beaucoup d’oxyde de fer n’était pas réduit en fonte et se retrouvait dans les scories parfois en forte quantité. Des cailloux vitreux, denses et multicolores qui résultent de la casse des coulées de laitier ont été dispersés aux alentours des fourneaux, on peut en trouver en de nombreux endroits le long des rivières, par exemple à Royompré, à Parfonbois et aussi rue de Barisart à Spa. Des milliers de tonnes ont été récupérées et vendues par les communes ou des particuliers (moulin Gohy à Royompré en 1914) aux exploitants de fourneaux modernes. On peut voir un tel fourneau partiellement reconstruit un peu en aval de Parfonbois sur la rive gauche de la Hoëgne. La forge « Le chastelein » ou « Forge racket » (1480-1609)
La concentration en oxydes de fer, et autres oxydes et silicates, le niveau d’oxydation du fer présent, leur mode de refroidissement déterminent la teinte des scories. Les oxydes peu oxydés (ferreux) donneront une teinte verdâtre, les oxydes fort oxydés (ferriques) donneront une teinte bleue ou rougeâtre. La teinte varie aussi suivant la région d’extraction du minerai et la nature géologique de la gangue, on peut trouver des brunes, des noires, des beiges, des bleues et des rougeâtres. Le laitier des fourneaux modernes (fourneau N°6 d’Arcelor par exemple) produisent un laitier blanc qui ne contient plus de fer (max. 1%) mais la température du ventre est proche de 2000°. Le plus gros haut-fourneau du monde, construit en 1993, produit 11.000 tonnes de fonte par jour, a un creuset de 14,9 m de diamètre alors que nos hauts-fourneaux anciens produisaient environ 600 kg par 16 heures quand tout fonctionnait bien.
Voilà l’explication de la couleur bleue ou verte des scories trouvées, entre autres endroits, rue de Barisart à Spa.
Jean-Pierre GILON
Une réponse de « La Maison de la Métallurgie »
M. Pascal Lebfèvre, administrateur délégué de « La Maison de la Métallurgie et de l’Industrie de Liège », a également apporté une réponse à notre question.
« La réponse n’est pas si évidente que cela et nous remercions Monsieur Gilon pour les explications circonstanciées qu’il nous donne dans son courrier du 14 mars 2008. Nous avons consulté deux spécialistes pour tenter de répondre avec précision aux questions posées: François Pasquasy, ancien ingénieur sidérurgiste et historien des hauts-fourneaux et le Professeur Pirard, Directeur du laboratoire GeMMe-MiCa-Georessources & Mineral Imaging de l’Université de Liège.
La couleur des scories dépend effectivement de leur composition chimique, liée au type de minerai de fer, à la qualité de sa fusion et au fondant employé. Les fondants sont utilisés depuis l’apparition des hauts-fourneaux : ce sont des pierres calcaires, castine et dolomie. Selon Monsieur Pirard, certains oxydes de fer très noirs, comme la magnétite ou la Wustite, donneraient des scories d’un noir bleuté, tandis que l’hématite et la goethite (hydroxyde), laisseraient des traces plus rougeâtres ou jaunâtres. L’idéal serait sans doute de faire parvenir un échantillon afin de l’analyser avec plus de précision. »
Le Musée de la métallurgie vient d’inaugurer le 17 janvier une exposition intitulée « Matière rouge, Matière grise. Métamorphoses dans la Grande Région ». Elle est consacrée à l’histoire de l’approvisionnement en minerai de fer dans la région Lorraine-Luxembourg-Wallonie et à l’évolution des techniques sidérurgiques à chaud.
Maison de la métallurgie et de l’Industrie de Liège : Boulevard Raymond Poincaré, 17 4020 Liège tel : 04 342 65 63