Les courses de « caisses à savon » petits véhicules sans moteur construits et pilotés par des enfants sont aujourd’hui très à la mode. Une de ces courses a été organisée en Septembre 1985 lors des fêtes du Waux-Hall.
Mais, sait-on qu’il semble bien que ce soit à Spa que furent organisées les premières courses de ce type?
Dans un article publié en 1950 dans la revue spadoise Les cahiers Ardennais [pp340-342], sous les initiales G.E.J. [Georges-Emile JACOS auteur des rues et Promenades de Spa] on peut lire qu’à Spa dès 1903 et durant les années suivantes, on a pu voir des épreuves réservées à ces petits véhicules. G.E. Jacob écrit que, frappé par le spectacle des courses de traîneaux pratiquées chaque année avec passion [nous en avons parlé dans le dernier numéro de Réalités] ,le chevalier Arnold de Thier , dit « Minique », vint à penser que ce sport plairait à coup sur aux bobelins, si on pouvait leur en offrir la répétition… en été.
A cet effet il fallait transformer le traîneau glissant sur ses « bènes » en un véhicule muni de roues, ce qui eut lieu. Ces « sployons » détournés de leur usage habituel, étaient construits selon la fantaisie du conducteur, à 3 ou 4 voire 6 roues.
Les courses figuraient chaque année au programme des fêtes ! Mr Jacob reproduit un article du Bulletin du Touring Club de Belgique en date du 15 mai 1907, lui-même base sur un article publié à l’époque dans le journal l’AUTO de Paris. Nous en donnerons plus loin quelques détails.
La première mention de ce sport nouveau dans les journaux spadois date du 13 Octobre 1904 : voici ce qu’on lit dans la Saison de Spa :
« La Meuse rapporte que Spa, ville des sports par excellence, vient de voir naître un nouveau genre d’exercice au grand air, qui est, paraît-il, très amusant et hygiénique. Il s’agit d’une sorte de petit traîneau à roulettes – le SPLOYON- comme on dit en wallon sur lequel on se place pour descendre les routes en pente qui entourent Spa. Il y a différentes sortes de sployons à 3 ou 4 roues, à une ou plusieurs places, mais tous extrêmement légers. Une planche et quatre roues, dont les deux de devant sont souvent à direction. Le Sployons club de Spa, car il y a déjà un club constitué, donne ce dimanche sa première fête : une exposition de sployons, puis une course sur la route de la Sauvenière. »
On peut penser que si un Sployons club s’est créé il a fallu au moins un an, et de premières expériences réussies, pour qu’on puisse trouver suffisamment d’amateurs … et de constructeurs, et que, par conséquent, la première caisse à savon a dû être construite à Spa en 1903,comme l’écrivait G.E. Jacob.
Une course avec des véhicules similaires eut lieu en Allemagne en juillet 1904 à Oberursel dans le Taunus. C’est ce que nous apprend une monographie de Micha GRIN, intitulée La Caisse à savon (éditeur Pierre Marcel Fabre, 1984). L’auteur, qui ignore les courses de sployons de Spa, écrit que la première « caisse à savon » fut construite en 1904 par les frères Eberhard et Joseph Sted peu après la coupe Gordon-Sennette, laquelle avait eu lieu à Bad Homburg non loin d’Oberursel ce qui avait donné l’idée à ces garçons d’imiter les automobiles. Le premier concours patronné par la société Humor, eut lieu à Oberursel le 31 Juillet 1904 car les frères Sted avaient aussi trouvé des émules.
Nous avons trouvé dans la Saison de Spa le règlement et les résultats d’une course de sployons organisée le 17 septembre 1905 : le départ était donné en amont de la fontaine de la Sauvenière à la borne kilométrique 38.700; l’arrivée avait lieu au Salon de Variété à la borne 36.600 M. Le parcours était donc de 2Km100.
La classement comportait diverses catégories :
- sployons de 0 à 50 kilos
- sployons de 50 à 75 Kilos
- sployons de 100 kilos et au-dessus
et de plus un classement par hauteur de roues : roues de 0 à 25 cm, 60 cm à 1 m ; l mètre et au-dessus. Il y avait aussi des prix spéciaux pour le sployon le plus pratique, le plus élégant et pour le plus original.
La course la plus rapide fut celle de M.Christophe, en 3m. 31s. 2/5 sur un sployon dont les roues avaient de 60 cm à 1 m. Le dimanche suivant avait lieu un concours pour le record du mille et du kilomètre.
L’article du Touring Club de 1907 donne des détails intéressants sur les sployons de l’époque; alors qu’au début, ce n’étaient que des sortes de chariots d’enfants, des « sployonistes » avisés avaient bien vite muni leurs engins de pneumatiques, et certains avaient construit des sployons pliants que l’on portait sur l’épaule et qu’on déployait au départ pour se livrer, dans la descente, aux griseries de la vitesse et aussi de l’équilibre.
Quant au frein, il était obtenu par la semelle du soulier que l’on appuyait sur la roue de devant. C’est, écrit de son côté G.E Jacob, tout un art de se diriger, sans faire la cabriole, dans les tournants, ou de dépasser à toute allure les sployons que l’on a devant soi, et la sensation que ce sport procure est, paraît-il, unique au monde.
Dans sa brochure Spa et l’automobile [Les Cahiers Ardennais juillet-août 1966] M.Robert Paquay consacre un chapitre aux courses de sployons, d’après la Revue sportive Automobile de 1908. Il parle d’un aployon construit par le garage Léon Keipe pour le fils de M. Paul Lambert, qui avait coûté 1500 frs, somme considérable pour l’époque. Equipé de quatre roues Talbot, deux essieux, direction avec barre d’accouplement sur rotules, carrosserie très basse, deux places dans deux baquets capitonnés, c’était une réelle petite voiture de luxe, qui atteignit une vitesse de 80 km à l’heure dans la descente de Malchamps. (p.14)
Peut-être est-ce ce sport nouveau de petites voitures sans moteur qui donna l’idée d’organiser à Spa la 17 septembre 1906 une course pour voitures automobiles de taille normale consistant en une descente moteur arrêté depuis Malchamps. Cette course est annoncée dans la Saison de Spa du 15 septembre 1906 et eut lieu deux jours plus tard.
Quoi qu’il en soit, les courses de caisses à savon ont connu depuis et connaissent encore un succès considérable, surtout aux Etats-Unis. D’après le livre de Micha dont nous avons parlé, un championnat organisé dans, ce pays le 19 août 1933 eut lieu devant 40000 spectateurs !
Si l’on sait que Spa a vu se créer en 1773 les premières courses de chevaux à l’anglaise du continent, à l’initiative du duc de Lauzun, on ignore généralement que c’est dans cette même ville, où le 12 juillet 1896 comme le rappelle M. Paquay, avait eu lieu une course handicap de 10 km à l’avenue du Marteau, et ou un Automobile Club fut fondé en 1906, que doivent avoir eu lieu les premières courses de « caisses à savon » que les Spadois appelaient « sployons », sport nouveau appelé à un avenir insoupçonné.
Léon Marquet.