Le charmant village de Tiège (en wallon Tîdje), situé sur le haut plateau herbeux (altitude 382 mètres) qui domine la vallée du Wayai au sud et la vallée de la Hoëgne au nord, a depuis des siècles toujours été un carrefour routier important. Autrefois situé au croisement de l’ancien chemin de grande communication allant de Tongres à Trèves (déjà mentionné au 7e siècle – ce chemin passait par Polleur, les Bansions, Tiège, Sart, Cockaifagne) et du grand chemin reliant Limbourg à Luxembourg (anté-romain d’après l’historien spadois Jean de Walque – ce chemin traversait la Hoëgne à Royompré, passait à Tiège, traversait le Wayai au pont dit de Stavelot), le village de Tiège est de nos jours situé au carrefour de deux routes nationales : la route Spa-Eupen (datant de 1866) et la route Verviers-Francorchamps (réalisée de 1845 à 1847).
Le village de Tiège doit d’ailleurs son nom aux chemins ancestraux précités ; en effet, « tîdje » est un vieux terme typiquement wallon en rapport avec l’histoire de nos routes. Jean Haust dans son dictionnaire de wallon liégeois dit ceci : «tîdje», vieux chemin de terre, large et gazonné (ordinairement francisé en tige, tiège).
Malheureusement, ces grands chemins serviront souvent de voies militaires et maintes fois au cours des siècles, la région tiègeoise sera dévastée par le passage de troupes de tous pays !
Le village de Tiège avec ses hameaux Arbespine (en wallon â bèspéne) et Troisfontaines (en wallon treûs fôtènes – siège d’une seigneurie entre le 14e et le 18e
siècles) constitue de nos jours le grand Tiège ; il fait partie de la commune de Jalhay. Jadis, il faisait partie du ban de Sart, puis par la suite de la commune de Sart-lez-Spa (de la fin de l’Ancien Régime jusqu’en 1977, date de la fusion des communes). Fin des années septante, la réalisation de la bretelle d’accès à l’autoroute Verviers-Prüm a profondément modifié l’entrée du village.
Aux 14e et 15e siècles, l’industrie du fer est florissante dans la région ; sur les rives de la Hoëgne et du Wayai, fourneaux et forges sont légion ; la grande majorité des habitants des trois hameaux précités exercent des métiers en relation avec cette activité métallurgique, ils sont bûcherons, charbonniers, mineurs ou forgerons. Dans son étude réalisée au début du 20e siècle, intitulée « Histoire du ban et de la commune de Sart », François Michoël nous indique qu’à l’époque le hameau de Tiège se composait de 65 maisons, que celui d’Arbespine (anciennement indiqué Arbre d’épine ou Aubespine) comptait 48 maisons et qu’à Troisfontaines, on dénombrait 10 maisons.
L’orthographe du nom Tiège a évolué au fil du temps. Une carte de 1612 attribuée à Abraham Ortélius mentionne « Thieg » ; des lavis de Remacle Le Loup datant de 1723 et la carte du R.P. Nicolas Le Clerc de 1730 indiquent « Tige » ; sur la carte Ferraris de 1777, on peut lire « Au Tige » ; et la carte de H. Godin, insérée dans un ouvrage de J.-Ph. de Limbourg édité en 1782, parle de « Tiège ». Les Tiégeois sont surnommés les « dgins d’veîe » (les gens de ville) à cause de leurs fréquents rapports avec les villes de Spa et Verviers.
Fin du 19e siècle début du 20e siècle, les trois hameaux étaient principalement habités par des agriculteurs. En 1912, ces derniers s’associeront pour fonder une laiterie coopérative dénommée « L’Union » (son gérant s’appelait M. Kuppers) ; elle était située à Arbespine, à proximité de la grande fontaine (l’grâde fôtène), point d’eau potable de qualité.
Le mardi 11 août 1914, vers 11 heures du matin, l’abbé Dossogne, curé de Hockai, est fusillé par les Allemands, dans le fond d’une prairie située à l’entrée du « Bois des Gattes ». Pendant la Seconde Guerre, l’occupant restructure l’industrie laitière et ferme les petites laiteries ; à la fin du conflit, la laiterie d’Arbespine ne rouvrira pas ses portes.
De nos jours, l’habitat de Tiège est devenu essentiellement résidentiel, il n’y a plus que trois fermes en activité. Un marchand de matériaux, quelques commerces, deux moyennes surfaces, un drive-in, un centre fitness, plusieurs artisans, plusieurs praticiens, un hôtel-restaurant, un garage, une station service et une maison de repos complètent le tissu économique du village.
La paroisse
La région de Tiège a été évangélisée, paraît-il, par les moines de l’abbaye de Kornelimünster. Au 17e siècle, une petite chapelle, dédiée à Saint Corneille, est construite dans une prairie appartenant aux familles de Louvrex, Massange et Orban de Xivry. Cette chapelle, qui était située non loin de l’église actuelle, se dénommait chapelle Houyon, du nom du fermier qui tenait la ferme. La prairie, où elle se dressait, porte depuis lors le nom de : « Li wêde al tchapèle ». Jadis, Saint Corneille était invoqué contre l’épilepsie et les maux de tête.
La seconde chapelle de Tiège fut construite de 1868 à 1871 par les habitants du village, elle se situait en face de la boulangerie actuelle. Elle devint église paroissiale en 1927, lors de l’instauration de la paroisse de Tiège. L’édifice dédié à Saint Corneille fut détruit le jeudi 30 novembre 1944, ainsi que cinq autres maisons du village, par la chute d’un V1. L’explosion du robot fit trois victimes : Philomène Boniver, Céline Hansenne-Leloup et Modeste Maréchal (le maréchal-ferrant). L’église fut alors déclarée inapte pour la célébration du culte et l’autorité religieuse demanda la construction d’une nouvelle église. En 1948, la commune de Sart-lez-Spa et la députation permanente de Liège donnèrent leur accord. En 1951, l’église fut déclarée trop dangereuse ; le bourgmestre de la commune, le Nivezétois Fernand Jérôme la fit démolir. Une nouvelle église sera construite de l’autre côté de la grand route, non loin de la prairie dénommée « Li wêde al’tchapèle ». De style pré-roman carolingien, elle est l’œuvre de l’architecte gantois Raoul Van Houtte. Elle a été réalisée par les Entreprises Lemaire et Piette. La première pierre fut posée le 20 mai 1952 et l’édifice fut inauguré le jour de Noël 1954. La tour, d’une hauteur de 28 mètres, renferme 4 cloches ; une seule provient de l’ancienne église. L’orgue a été réalisé par André Thomas, le facteur d’orgues de Ster-Francorchamps ; Lucy Deblon-Marquet en est l’organiste depuis plus de soixante ans. En 2008, suite à la fusion de plusieurs fabriques d’églises, l’église de Tiège redevient une « chapelle » dépendant de la Paroisse Saint Lambert de Sart-Jalhay.
Noms des desservants :
- De 1871 (date de son inauguration) jusqu’en 1927 (date de l’instauration de la paroisse) la chapelle de Tiège fut desservie par le vicaire de la paroisse de Sart de laquelle elle dépendait.
- Jean Joseph Honhon fut le 1er vicaire (de 1871 à 1873) ;
- il fut suivi par quatorze autres vicaires avant l’arrivée du 1er curé en 1927.
- Marcelin Close de 1927 à 1939 (le 1er curé, tué à Lierneux lors de l’offensive Von Rundsted),
- Emmanuel Gilson de 1939 à 1944,
- Paul Nolens de 1944 à 1981 (cheville ouvrière de la construction de la nouvelle église),
- Pierre Lux de 1981 à 1996 (aussi curé de Sart),
- André Lieutenant depuis 1996 (également curé de Sart, Jalhay, Nivezé, Surister et Solwaster).
L’école
D’après François Michoël : pendant la période hollandaise (1815-1830), à Tiège et à Arbespine, c’était le pâtre ou quelque autre personne dévouée qui rassemblait les enfants dans une salle étroite et mal éclairée ; en 1828, Walthère Joseph Hardy organise des cours dans sa maison de Tiège pour tous les plus petits ainsi que ceux qui se livraient aux travaux des champs.
La première école de Tiège date de 1866. Elle a été construite par l’entrepreneur Gerkens de Dolhain. A l’époque, le bâtiment se composait du logement de l’instituteur et d’une classe. En 1922, la population scolaire est de 78 élèves ; une institutrice est engagée pour seconder le chef d’école ; elle enseigne dans la salle du village (au 1er étage du café Parotte situé de l’autre côté de la route) en attendant la construction de la seconde classe en 1930. En 1965, une classe gardienne est ouverte ; une institutrice maternelle renforce le corps enseignant ; la classe se donne provisoirement dans un gîte d’étape à Arbespine ; six ans plus tard, le local adéquat est inauguré. En 1975, les écoles de Sart, Tiège et Solwaster sont fusionnées, la direction de la nouvelle entité est confiée à Roger Bastin. En 2002, l’école de Tiège est démolie afin de permettre la construction de l’école actuelle. Cette année, 160 élèves fréquentent l’établissement tiégeois.
Parmi les instituteurs et les institutrices, on peut citer :
- J. Hardy de 1854 à 1867,
- A. Reuchamps de 1867 à 1870,
- F. Milet de 1870 à 1879,
- J. Deru de 1879 à 1882,
- J. Bertholet de 1882 à 1901,
- A. Maréchal de 1901 à 1912,
- Henri Monville de 1912 à 1955,
- .. Meunier-Gerlaxhe de 1922 à 1949,
- Ghislaine Bastin-Pottier de 1949 à 1983,
- Roger Bastin de 1955 à 1979,
- .. Humblet de 1965 à 1968,
- Jeanne Dothée-Brédo de 1968 à 1982,
- Ghislaine Charlier de 1973 à …,
- Alain Dutilleux de 1979 à 1998,
- Suzanne Pauly de 1982 à …. ,
- Nicole Vilz-Dumez de 1989 à 2002, Christiane Sente, Brigitte Michel.
- Actuellement, l’école communale de Sart-Tiège-Solwaster est dirigée par Nicole Grégoire. Sur le site de Tiège, elle est assistée dans sa tâche par : Sandrine Donnay, Christiane Schmitz-Sente, Estelle Havard-Muls, Brigitte Michel, Anne-Catherine Grégoire, Emilie Rocks, Natacha Salée, Sandra Daniels et Olivier Mathieu.
L’activité commerciale actuelle du village a été mentionnée ci-avant. Au siècle dernier, parmi les commerces, on peut citer : l’épicerie enseignée « Chez Célestine » (Petitjean-Houyon), l’épicerie Marnette (détruite en 1944 par la chute d’un V1), l’épicerie Raquet-Hardy (l’actuelle boulangerie-pâtisserie-presse), la boulangerie-épicerie Lethiexhe (par la suite Collard, puis Brandt), la boucherie Jules Goblet, la boucherie Henri Lemaitre, le café Rita Goblet, le café Parotte (avant 1940 – avec salle de danse au 1er étage), le café Midré-Boniver, le garage Charles Bivort (par la suite garage Michel, actuellement Verviers-Dépannage), le garage Daelman, le garage agricole Jean Adam (avec quincaillerie), la pension de famille « Villa des Roses » (de nos jours hôtel-restaurant « La Pitchounette »), dans les années trente l’hôtel des Tilleuls de Hubert Hardy (par après résidence du docteur Léonard-Hardy, puis du docteur Hansenne-Burguet).
L’hôtel de la CharmilleAu 18e siècle, près de la Croix de Tiège (lu Creû dè Tîdje), située au croisement du grand chemin Limbourg-Luxembourg et de l’ancien chemin Tongres-Trèves, se trouvait une ferme qui servait de relais pour la malle-poste. Cette ferme, dénommée « La Charmille », appartenait à la famille Hardy. Fin du 19e siècle, son propriétaire Emile Hardy-Raquet décide de transformer une partie des bâtiments en hôtel-restaurant. Grâce à l’évolution du tourisme, la fréquentation de l’établissement augmente, ce qui contraint l’hôtelier à procéder à des agrandissements.
En octobre 1928, l’hôtel est cédé à M. Metzger. Quelques années plus tard, son gendre, l’architecte, Pierre Hasaerts, modernise l’établissement et lui donne son aspect actuel. Dans les années septante, la direction de l’hôtel est assurée par la famille Franssen. Depuis quelques décennies, l’hôtel a fait place à une maison de repos et de convalescence.
Cette chapelle tire son nom de la signification d’Arbespine, soit « arbre-épine ». Elle a été érigée en 1993, à l’orée du bois, le long de la petite route reliant Arbespine et le hameau des Bansions, par Emile Deblon, un fermier de la localité. Elle possède un triptyque qui abrite trois icônes : une reproduction de la Vierge de Vladimir, au centre l’hospitalité d’Abraham et la troisième est la résurrection du Christ.
Le laetare
La tradition carnavalesque locale s’organise autour de deux personnages : le courrier et la bergère. Autrefois, les festivités se déroulaient le Mardi-Gras et les deux jours qui le précèdent. Le Mardi-Gras, les carnavaleux tiégeois arpentaient les rues du village, puis gagnaient Sart croisant en chemin les carnavaleux sartois. Le tour achevé, chaque cortège regagnait son village. A la fin du 19e siècle, les fêtards décidèrent également de saluer la mi-carême (le Laetare) en offrant à boire, transportant la réserve du précieux breuvage sur un char tiré par un attelage. Plus tard, les chars furent garnis et décorés de fleurs multicolores en papier. Dès 1938, le Mardi-Gras fut délaissé, laissant la place au seul « Laetare ». Avant la 2e Guerre, les carnavaleux tiégeois se réunissaient dans la salle du café Parotte, par la suite ce fut dans la salle Wilkin dénommée salle « Les Sorbiers » ; de nos jours, cela se passe dans la salle « Les Tilleuls » construite en 1976 par la société « Les Amis Réunis » (Société créée en 1933, coorganisatrice du Laetare Sart-Tiège).
Les fontaines et les puitsLa conduite d’eau alimentaire a été réalisée en 1925. Le château d’eau de Tiège a été construit en 1928 (capacité de 110 m3), il constituait la principale réserve en eau du village. Autrefois, à Tiège, en face de la Charmille, il y avait un puits avec une pompe et un bac. Un autre point d’eau, dénommé la « potale », se situait non loin du garage Adam, il permettait aux ménagères de rincer leur linge.
Sur la route descendant vers Nivezé, à droite, il y a trois bacs ; jadis, ils étaient entourés d’un puits en amont et d’un puits en aval. A Arbespine, le puits du Thier, creusé en 1875, situé près de la route venant de Balmoral, desservait en eau le haut du hameau ; tandis que le bas de la localité était alimenté par la « Grande Fontaine », un ensemble fontaine-abreuvoir-bac (démoli en 1949 afin d’élargir la voirie et reconstruit en 1990 dans les environs immédiats). A Troisfontaines se trouve « La Venes », une source intarissable déjà utilisée au 15e siècle.
Le tramDurant 43 ans, le village de Tiège a été desservi par les tramways vicinaux de la ligne Spa-Verviers. Quatre arrêts étaient prévus dans la localité : Arbespine, Tiège-route de Sart (hôtel de la Charmille), Tiège-route de Jalhay et Tiège Sous-Station. C’est en 1907, que la décision de construire une ligne reliant la cité thermale et la cité lainière fut prise. Le tronçon Spa-Tiège a été exploité dès le 6 octobre 1909 et le tronçon Tiège-Heusy dès le 20 mai 1911. Mais, après la Seconde Guerre, le succès grandissant de l’automobile, la vétusté des installations électriques de la sous-station de Tiège et le coût trop élevé de l’entretien de la voie poussèrent la Société Nationale des Chemins de Fer Vicinaux à opter pour l’exploitation de la ligne par autobus. Le lundi 30 juin 1952, à 21 h 10’, le dernier tram de la ligne Spa-Verviers quitta la place de la Victoire à Verviers pour regagner le dépôt de Balmoral !
Jean Lecampinaire
Sources :
Origine et avatars d’un mot wallon Tîdje « chemin de Terre » (J. Herbillon-E. Legros – 1954)
Route des puits, fontaines et abreuvoirs (O.T.J.S. 2007)
La voirie ancienne de la région de Spa (Maurice Ramaekers – H.A.S. 1984)
Tiège (Victor Schmitz – 1982) – Petite histoire sartoise (Michel Carmanne 2005)
La toponymie de la commune de Sart-lez-Spa (Guy Vitrier 1963)
Histoire du ban et de la commune de Sart (François Michoël – S.d)
Mmes Noëlle Willem, Denise Boniver-Depouhon, Marie-Claire Adam-Raquet – MM et Mmes Paul et Mariette Gernay-Counet, Emile et Lucy Deblon-Marquet, Marcel et Nicole Vilz-Dumez – M José Laurent .