Une maison historique en péril ?

Façade de la maison de M Schoonbroodt.

Façade de la maison de M Schoonbroodt.

M. Schoonbrodt nous a invités à visiter sa maison située au coin des rues de Sclessin et des Capucins. La rue de Sclessin a fait l’objet en 1931 de la mise en place d’un plan général d’alignement aux abords des bâtiments scolaires. Ce plan pourrait avoir pour conséquence la démolition de la maison. Cette maison a pourtant un intérêt historique. C’est ce que nous tenterons de vous montrer dans cet article, même si nous sommes conscients que nos hypothèses doivent être confirmées par des spécialistes et des « preuves » au niveau architectural.

L’hypothèse émise par M. Schoonbroodt est que cette maison abritait la mère syndique qui était chargée de gérer la vie quotidienne des moines du couvent des capucins. C’est elle qui gérait l’argent et les denrées récoltées par les Capucins. La tradition nous rapporte que les personnes déposaient leurs dons dans le capuchon des moines, que la mère syndique récoltait. Cette maison serait donc de près ou de loin l’un des derniers témoins du couvent des Capucins.

Sur le plan, les flèches indiquent la maison de M. Schoonbrodt, en hachuré les restes du couvent en 1860 avec la cour (694a), l’église abattue devenue jardin (694b).

Sur le plan, les flèches indiquent la maison de M. Schoonbrodt, en hachuré les restes du couvent en 1860 avec la cour (694a), l’église abattue devenue jardin (694b).

La maison de la mère syndique dans les livres ?

Albin Body, dans son ouvrage sur les enseignes de Spa, précise que la rue des Capucins actuelle est postérieure à la démolition de l’église du couvent. L’emplacement qu’elle occupe était une avant-cour fermée, jusqu’à la rue de la Géronstère, par une petite muraille percée d’une large ouverture. Il n’y avait qu’une seule maison, celle de la mère syndique du couvent. Cet espace fut incorporé à la voirie après la révolution. (1)
Dans le catalogue des enseignes, Albin Body décrit les enseignes des maisons du vinâve d’Amontville. Il nomme les enseignes des maisons une à une en partant du « pont », actuelle place Pierre-le-Grand et cite dans sa liste la maison enseignée « Aux Trois Couronnes », 1756, propriétaire Mathieu Goffin 1771. Il s’agit de la maison occupée actuellement par le photographe Bontemps.

Venait ensuite le parvis de l’église des Capucins, où se trouvait la maison de la mère syndique du couvent, dont Mme de Rawhé fit donation aux Capucins , 1715. Il cite ensuite toujours en suivant l’ordre des immeubles : Au Prince Ferdinand de Prusse », réédifiée après l’octroi des jeux ; 1760, plan 1770,1780 : propriétaire Jean le Misson, 1779 Henri Misson, 1798, Même nom. Cet immeuble abrite actuellement le Funérarium. (2)

Ces premières informations nous permettent de dire que la maison actuelle correspond aux descriptions d’Albin body.

Les anciens plans montrent que la maison était jointive au couvent

Le couvent et ses jardins se situaient à l’emplacement actuel des locaux de l’Athénée Royal. L’église occupait approximativement la rue des Capucins et une partie de la cour de l’école. Des ossements des moines (qui étaient enterrés dans l’église) ont d’ailleurs été découverts le long du mur de la cour de l’école dans les années 1955 ( ?). Pour Pierre Lafagne, des murs que l’on aperçoit encore rue des Capucins sont les restes de cette église.
Ivan Dethier et Pierre Lafagne, dans le très intéressant ouvrage « Spa et les Capucins », ont tenté de resituer l’emplacement du couvent des Capucins grâce aux plans Lecomte de 1780 et Popp de 1860 en les comparant avec le plan cadastral de 1939. On peut constater que sur le plan Popp de 1860, les restes du couvent des capucins sont jointifs de la maison de M. Schoonbrodt. De même l’on voit de manière très claire que la maison s’intègre dans le mur d’enceinte du couvent. Sur le plan, les flèches indiquent la maison de M. Schoonbrodt, en hachuré les restes du couvent en 1860 avec la cour (694a), l’église abattue devenue jardin (694b). Le plan Popp montre l’ensemble des jardins des capucins et du mur d’enceinte.

Mur côté Athénée.

Mur côté Athénée.

Une maison ancienne

En visitant la maison, notre attention a tout d’abord été attirée par les murs extérieurs du côté Athénée. Ces murs sont particulièrement larges et sont très probablement une partie de l’ancien mur d’enceinte de la propriété des Capucins et de son célèbre jardin. Dans son ouvrage « Spa et les Capucins », Pierre Lafagne note qu’il reste rue de Sclessin (en 1939) un morceau du vieux mur d’enceinte du couvent. Ce mur se situait le long du bâtiment actuel de l’Athénée après l’entrée de la cour en haut de la rue. Il a été partiellement démoli. On peut remarquer qu’il est tout à fait aligné sur le mur de la maison de M. Schoonbrodt. La maison se trouve donc dans le prolongement des restes de ce mur d’enceinte qui entourait la propriété des capucins

En regardant la façade de la maison côté place Salée, (Première photo) on constate que les pierres de taille utilisées pour les linteaux de la porte et des fenêtres sont d’une belle facture, et même si la maison a été rénovée plus récemment on peut imaginer sans trop de problème que cette façade de la maison était la façade principale.

L’intérieur de la maison atteste aussi de son ancienneté. On peut y voir deux âtres imposants pour une petite maison, une magnifique cage d’escaliers en bois et des colombages à l’intérieur des chambres de l’étage. La cave est voûtée, les escaliers pour y descendre ainsi que le sol sont recouverts de grandes dalles de schiste. On y voit également l’emplacement d’un puits dont l’accès a été
condamné par une plaque de béton. Ces éléments démontrent que la maison est ancienne.

une magnifique cage d’escaliers en boisLes escaliers pour descendre à la cave ainsi que le sol sont recouverts de grandes dalles de schiste. des colombages à l’intérieur des chambres de l’étageCompte tenu de toutes ces informations, il serait logique de dire que cette maison fait partie de l’histoire du couvent des capucins et qu’à ce titre le plan d’alignement prévu en 1931 devrait être revu. Il serait peut-être également intéressant d’apposer sur la façade de la maison une plaque rappelant l’histoire du couvent des capucins, un important édifice de l’histoire spadoise.

L’histoire du couvent et des jardins des Capucins en quelques lignes

Pour faire face au protestantisme qui se développe, le prince évêque de Liège a fait appel aux Capucins qui installèrent des communautés à Malmedy 1617, à Stavelot 1644 et à Spa 1623. L’afflux d’étrangers à Spa répandant les idées nouvelles nécessitait selon l’Eglise d’implanter un couvent à Spa.

Le couvent des Capucins en 1760 Ivan Dethier d’après Antoine Leloup
Pierre Lafagne cite la date de 1623 comme début de l’installation du couvent des capucins. Un acte de 1643 du prince evêque de Liège autorise Walther de Liverlooz à construire une nouvelle chapelle en remplacement de la vieille trop vétuste. Une pierre retrouvée rue de la Poste, provenant des débris du couvent des Capucins, montre que le couvent et la nouvelle église des Capucins ont été consacrés en 1645.

Gravure du couvent des capucins.

Gravure du couvent des capucins.

Le jardin des Capucins

Le couvent des capucins a pris une place importante dans la vie des Bobelins à cause de son jardin qui est devenu un des lieux de rendez-vous incontournables des curistes. Dès sa fondation, il était recommandé que le jardin soit accessible aux personnes des deux sexes. Il était agrémenté de gloriettes « qui offraient un abri contre les ardeurs du soleil en même temps qu’un refuge pour les confidences ». En effet, le jardin des capucins devint au XVIIIeme siècle le lieu des rendez-vous « pour y poursuivre des conversations, y faire des connaissances et y amorcer des tractations politiques. Mais ce sont surtout les rendez-vous galants qui s’y donnaient, contrastant avec la fonction religieuse du lieu, qui ont retenu l’attention !

A la révolution, les Capucins furent chassés du couvent, leurs biens confisqués et vendus. En 1810, Damseau devenu propriétaire fit démolir l’église et deux ailes du couvent. Il transforma sa propriété en « hôtel de Bel-Œil » en 1823. Les éléments du mobilier de l’église et du couvent furent détruits ou vendus mais très peu d’entre eux nous sont encore connus. Nous vous les présenterons dans un prochain numéro de notre revue.

N.B. : Des documents iconographiques sur le jardin des Capucins sont présentés au Musée de la Ville d’Eaux dans le cadre de l’exposition « Parcs et jardins ».

La revue « mémoire de Hautes Ardennes » de mars 2008 consacre un important article à l’église des Capucins de Malmedy.

Pol Jehin

1) Albin Body : Spa, histoire et bibliographie Edition Culture et Civilisation 1981 Tome III page 82
2) Albin Body : Spa, histoire et bibliographie Tome III page145
3) Pierre Lafagne : Spa et les Capucins Edition de la revue « La Vie Wallonne » Liège 1939.


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